Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ampleur dans le sentiment de l’ensemble et l’extrême délicatesse dans l’exécution des détails. Vérité du geste, imitation achevée de la forme, expression sans équivoque d’habitudes naturelles ou acquises, tout se concilie ici et se retrouve dans les différentes parties de l’œuvre, comme dans la figure de Carabinier qui sert de pendant à celle-ci : figures réellement admirables l’une et l’autre, qu’il ne convient pas seulement de mettre au nombre des meilleurs ouvrages de Charlet, mais qu’il faut compter aussi parmi les spécimens les plus importans de la lithographie, parmi les témoignages les plus propres à nous renseigner sur cet art spécial et sur l’étendue des moyens pittoresques dont il lui appartient de disposer.

Les lithographies successivement publiées par Charlet à partir de l’époque où il eut commencé de modifier sa manière et d’ajouter de nouveaux titres à ceux qu’il avait conquis ou qu’il allait continuer d’acquérir comme dessinateur de sujets militaires, ces nombreuses scènes empruntées aux écoles d’enfans ou aux échoppes aux mœurs des barrières ou aux événemens de la vie, — toutes ces pièces si neuves dans les intentions et dans les formes achèveraient de prouver, s’il en était besoin, ce qu’il y a dans le talent de l’artiste de naturellement inspiré, de foncièrement original. Au point de vue de l’exécution proprement dite, elles attestent aussi une profonde expérience de l’art, et, — dût le mot paraître un peu solennel, — une science de plus en plus sûre. Seulement, au lieu de se révéler, comme dans les œuvres précédentes, sous des dehors avant tout énergiques, cette science choisira dorénavant pour se produire des moyens d’expression délicats, raffinés même parfois jusqu’à la subtilité. Je m’explique : en aucun cas assurément, on ne saurait accuser le crayon de Charlet de timidité ou d’afféterie. Il excelle au contraire à s’assimiler bravement le fait, à le définir, sans incertitude comme sans préjugé d’aucune sorte sur le sens que ce fait recèle; mais en insistant un peu trop sur la définition, en travaillant avec quelque excès de soin à en aiguiser les termes, il ne laisse pas d’afficher parfois la sagacité, ou tout au moins d’en compliquer les résultats d’une certaine apparence de recherche. Pourtant, à côté d’imperfections assez rares après tout, et résultant chez l’artiste du désir même du mieux[1], que de témoignages ne faudrait-il

  1. Charlet avait si bien ce désir du mieux et ces exigences envers lui-même, qu’il lui est arrivé souvent de biffer un travail complètement achevé et de le recommencer sur nouveaux frais, soit pour modifier seulement quelques détails de la composition, soit pour transformer celle-ci d’un bout à l’autre. D’autres fois la pierre était sacrifiée après avoir fourni deux ou trois épreuves; d’autres fois enfin, des épreuves tirées en grand nombre et déjà misés dans le commerce étaient, au bout de quelques jours, soustraites par l’artiste à la publicité, le tout au grand désappointement des éditeurs et au préjudice très réel des intérêts matériels de Charlet. De là l’extrême rareté de certaines pièces passionnément recherchées aujourd’hui, et les prix élevés qu’elles atteignent, lorsqu’elles viennent par hasard à figurer dans une vente publique.