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première moitié du siècle, se sont consacrés à de pareils travaux, aient subi en général l’empire d’anciennes habitudes et le joug de la tradition plus docilement encore que l’action directement exercée par leurs modelés ? Pendant combien d’années a-t-on cru qu’une contrefaçon de l’antique était la caution nécessaire et comme le passeport dans le domaine de l’art de toutes les nouveautés qu’il s’agissait d’y introduire ! Que de gens eussent pensé trahir leur devoir, s’ils n’eussent pieusement dessiné le masque du Jupiter sous le turban d’un pacha ou les formes de l’Apollon du Belvédère, sous la fustanelle d’un pallikare ! Les types que Raffet avait à retracer autorisaient, il est vrai, moins que d’autres, ces préoccupations de la beauté classique, et peut-être en face des Tatars et des Tsiganes était-il médiocrement méritoire d’oublier les exemples consacrés ailleurs par le ciseau grec ou romain. La difficulté consistait plutôt dans la mesure à garder entre une imitation superficielle et une copie trop scrupuleuse, entre l’expression incomplète du vrai et la transcription littérale de l’extrême réalité. Or c’est ce point intermédiaire que Raffet a su discerner avec une bien rare clairvoyance; c’est ce mode de traduction à égale distance de la servilité et de l’indépendance, c’est ce style familier sans bassesse, exact sans pauvreté, qui donnent au Voyage dans la Russie Méridionale une importance exceptionnelle et qui font de ce beau livre un spécimen considérable de la lithographie, aussi bien qu’un trésor de révélations curieuses et de sûres renseignemens.

Veut-on d’autres témoignages de l’art avec lequel Raffet trouvait les secrets du style dans la véracité même de son crayon, que l’on examine le dernier ouvragé et peut-être le plus émouvant qu’il ait produit, cette histoire du Siège de Rome, interrompue par la mort du maître, mais dont plus de trente pièces, publiées à partir de 1850, nous ont raconté les phases successives et les principaux épisodes. Quelle vérité dans les types ! et bien souvent quelle éloquence dans l’expression, depuis la physionomie si fièrement calmé de ces soldats prêts à partir pour la ville éternelle ou de ces travailleurs allant à la tranchée, jusqu’à la vaillante charité qui brille sur les traits de ces prêtres protégeant au péril de leur vie des prisonniers et des blessés! Quant aux lithographies représentant les travaux mêmes du siège ou les luttes engagées dans les bastions qui environnent la ville, qu’en dire, sinon qu’elles rivalisent avec ce que Vernet et Charlet ont laissé en ce genre de plus vraisemblable, de plus ingénieux, de plus animé? Peut-être, à ne tenir compte que des procédés et du faire, y a-t-il çà et là quelque excès d’insistance sur la définition des détails, quelque lourdeur dans cette pratique un peu trop bien informée, un peu trop convaincue pour ainsi dire : en revanche, comment ne pas admirer la grandeur