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au pinceau je ne sais quelle vertu mélodique; la musique à son tour a affiché des prétentions pittoresques, et l’on a entrepris de représenter avec des sons jusqu’à la lumière. Comment la contagion de pareils exemples n’aurait-elle pas glissé des hauts lieux pour aller envahir les régions inférieures de l’art? Par quelle exception la lithographie aurait-elle résisté à cette manie générale d’usurpation ou de déguisement? — Hélas ! elle ne demande même plus à la gravure de vêtir ce qu’elle croit être son indigence. La voilà devenue maintenant la cliente de la photographie : c’est en ramassant les tristes bienfaits de celle-ci qu’elle cherche à alimenter les restes d’une existence humiliée et le peu qui a survécu de son activité d’autrefois.

Il y a quelques années encore, les portraits qu’on lithographiait bien ou mal avaient au moins ce mérite d’être exécutés sans le concours préalable d’un appareil mécanique, sans autre intermédiaire que le crayon entre l’original et la copie. Ils pouvaient être et ils étaient souvent en désaccord avec les strictes conditions du procédé : toutefois ce démenti même résultait d’un effort volontaire, d’un calcul erroné, mais d’un calcul; il y avait un souvenir enfin et une trace de l’art jusque dans la dextérité excessive du dessinateur. Dans les portraits dont une machine a fourni les exemplaires à la lithographie, tout se réduit à une contre-épreuve plus ou moins fidèle de l’effigie ainsi obtenue; tout garde et doit garder cette apparence figée, cette physionomie équivoque, n’exprimant ni la mort, ni la vie, que la photographie impose comme un masque à la réalité. Franchement, mieux valaient encore, en ce qui intéresse l’intelligence, les formules apprêtées et les coquetteries du crayon. La même préférence n’est-elle pas due aux paysages lithographies naguère avec une préoccupation un peu trop vive des vignettes anglaises, lorsqu’on rapproche de ces petites œuvres, si artificielles qu’elles soient, les vues froidement exactes qui ne viennent aujourd’hui se fixer sur la pierre qu’après s’être déposées une première fois sur la plaque du daguerréotype? Qu’ont de commun d’aussi inertes produits avec les combinaisons même imparfaites de l’art, avec les moindres opérations du talent?

Sous d’autres formes, et sans avoir d’ailleurs la photographie pour complice, les prétendus principes de dessin qu’on inflige aux regards des commençans ne sont guère de nature à inspirer plus de confiance, à raviver de meilleures traditions. Quel progrès espère-t-on stimuler, quelle doctrine pense-t-on accréditer en proposant ces modèles mensongers où l’adresse de la main est seule en cause, où l’expression naïve des contours et du modelé est remplacée par l’entre-croisement symétrique des hachures, et l’instructive habileté de l’artiste par l’inutile savoir-faire du calligraphe? Faut-il enfin parler, même en passant, de l’indigne emploi que font de la lithographie