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qui règne sur les rois de la terre (XVII, 18). » Ivre du sang des saints, elle est montée sur la bête aux sept têtes et aux dix cornes, qui se concentre peu à peu dans la personne de Néron, car c’est bien lui « qui était, qui n’est plus et qui reparaît pour courir à sa perdition (XV, 48). » Et c’est ici que l’auteur explique le plus clairement ses calculs. Il nous dit lui-même que les sept têtes sont sept empereurs dont cinq sont déjà tombés (Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron), un sixième règne en ce moment (Galba), un septième va le supplanter, ce qu’il était, on le sait, très facile de prévoir; mais, comme la fin est proche, ce septième ne régnera pas longtemps (V, 10), et après lui le monstre qui faisait déjà partie des sept, qui n’était plus, mais qui revient, va paraître à la tête de tous les chefs des peuples pour assouvir sur la cité rebelle la soif de vengeance qui les dévore tous, et en même temps pour servir sans le savoir d’instrument aux irrévocables décrets de Dieu.

On le voit, l’Apocalypse, antérieure à l’an 70, a été écrite dans la seconde moitié de l’an 68, quelques mois après la chute de Néron et quand il était déjà certain que le sceptre ne resterait pas longtemps entre les mains débiles de son successeur Galba. Dès le commencement de l’an 69 en effet, ses compétiteurs étaient déjà plus forts que lui. Il en résulte aussi que l’incendie allumé par Néron en 64 n’était aux yeux de l’auteur qu’un essai, une sorte de répétition préalable de l’incendie bien plus terrible encore dont les flammes devaient servir de linceul à la ville abhorrée. On dit quelquefois de nos jours, pour légitimer la tyrannie prolongée de la Rome impériale, qu’elle s’appuyait en réalité sur le consentement tacite des peuples soumis à sa suprématie. Comme nous n’avons guère, pour nous assurer de ce consentement, que les assertions d’historiens romains ou moralement conquis par le point de vue romain, il est difficile de savoir au juste à quoi s’en tenir là-dessus ; mais il est évident qu’il faut en tout cas faire une large exception pour les chrétiens de ce temps-là. Jamais on n’a écrit de livre plus révolutionnaire que l’Apocalypse.

Aux hélas ! des païens consternés répond l’alléluia des élus. En même temps, tout glorieux de la vengeance qu’ils ont tirée de Rome, la bête et ses alliés se dirigent sur Jérusalem pour la saccager à son tour et écraser le peuple des justes rassemblé sur la colline de Sion; mais leur orgueil insensé va recevoir sa récompense. Le ciel s’ouvre. Quelqu’un, le Christ, en descend monté sur le cheval blanc des triomphateurs et portant sur son front le nom ineffable. Il est suivi de l’armée céleste, montée aussi sur des chevaux blancs. Il n’a pas même à combattre : la parole qui sort de sa bouche est une épée tranchante qu’il n’a qu’à diriger sur la bête et son armée pour qu’elles soient exterminées. C’est au point que, dès qu’il