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il courait à sa perte. Beniowski revint en France. Il eut des conférences avec les membres du gouvernement, mais il ne put dissiper les préventions que les rapports de l’Ile-de-France avaient excitées contre lui. Dégoûté, il alla porter ses projets aux autres cours de l’Europe, et après une propagande inutile qui dura plusieurs années il partit pour Nossibé, où les chefs malgaches accoururent avec un enthousiasme et un dévouement que n’avait pu affaiblir une absence de huit années. Nous ne le suivrons pas dans la nouvelle tentative qu’il fit en 1786 à Angoutzy, où il voulut fonder un établissement pour son compte et celui de quelques particuliers. Il n’était plus le représentant de notre gouvernement, et les autorités de l’Ile-de-France pouvaient satisfaire leurs ressentimens contre lui. Elles envoyèrent une expédition contre Beniowski, qui, au lieu des honneurs et des récompenses qu’il avait mérités, reçut la mort dans un combat d’une main française[1].

Si nous nous sommes arrêté sur cette intervention du baron Beniowski dans nos relations avec Madagascar, c’est que nous avons reconnu en lui les traits du génie colonisateur. Il était de la race des Clive et des Hastings, de ces chefs intrépides chez qui de grandes vertus se combinent avec de grands vices, combinaison peut-être indispensable pour dominer des populations barbares et superstitieuses. La France aurait pu, en soutenant et en encourageant Beniowski, établir définitivement sa souveraineté sur Madagascar ; mais, distraite par la guerre d’Amérique, elle laissa cet homme énergique épuiser dans un effort stérile ses grandes facultés et d’immenses ressources.


II

Après l’abandon des établissemens fondés par Beniowski dans la baie d’Antongil, la France n’eut plus qu’un commerce de traite avec Madagascar, et se borna à y conserver, sous la protection d’un agent commercial et d’un petit nombre de soldats, quelques postes pour assurer l’approvisionnement en riz, en bœufs et en salaisons de nos colonies de l’Ile-de-France et de Bourbon. Pendant les guerres de l’empire, ces postes se concentrèrent à Tamatave. En 1810, les îles de France et de Bourbon tombèrent aux mains des Anglais, et en 1811 Tamatave se rendit à une division anglaise. Les forts que nous avions élevés furent détruits, et les vainqueurs, décimés par les fièvres, abandonnèrent bientôt le pays aux indigènes.

  1. La plupart des faits que nous venons de rapporter sont extraits des mémoires de Beniowski, publiés à Londres en 1790. Ils ont été traduits et édités à Paria en 1791. 2 vol. in-8o.