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absolu : il fallait, pour qu’il eût sa valeur, qu’elles témoignassent de leur intention d’en user par un commencement d’occupation, par une sorte de prise de possession[1]. Ainsi les Portugais, qui avaient découvert Madagascar, auraient pu, arguant de leur antériorité, arborer leur pavillon sur l’île, y fonder un établissement, et s’en déclarer souverains. Ils ne le firent pas, et leur abstention permit à la France de venir après eux faire acte de souveraineté sur cette terre. Cependant, pour que la France eût elle-même à l’égard des autres puissances un droit de propriété incontestable, elle dut appuyer sa déclaration de propriété sur un acte matériel. C’est ce qu’elle fit sous Louis XIV en occupant plusieurs points du littoral. On comprend la nécessité de l’occupation pour valider le droit; si cette condition n’était pas remplie, les nations pourraient, moyennant quelques signes extérieurs, se constituer des propriétés sur tous les points du globe sans utilité pour elles, et seulement pour empêcher d’autres d’en profiter. Le droit des gens ne reconnaît la propriété et la souveraineté d’une nation que sur les pays qu’elle occupe réellement et de fait, dans lesquels elle a formé un établissement et dont elle tire un usage actuel. «En effet, remarque Vattel, lorsque des navigateurs ont rencontré des pays déserts dans lesquels ceux des autres nations avaient dressé en passant quelques monumens pour marquer leur prise de possession, ils ne se sont pas plus mis en peine de cette vaine cérémonie que de la disposition des papes, qui partagèrent une grande partie du monde entre les couronnes de Castille et de Portugal. »

Ces droits, comme tous les droits, ont pour corollaires des obligations qui y correspondent. Il faut que la puissance qui se dit souveraine d’un pays se montre en état non-seulement de s’y faire respecter, mais de faire respecter les tiers qui peuvent être en relations avec lui. Supposons des actes de violence, des pillages accomplis dans ces contrées : à qui s’adresseront les intérêts lésés? à qui demanderont-ils réparation des dommages qu’ils auront éprouvés? Contre qui s’exerceront les représailles ou les châtimens que ces actes rendront nécessaires? Si satisfaction ne leur est pas donnée, si dans le pays il ne se trouve pas une représentation officielle et responsable de la souveraineté, si le prétendu souverain n’y occupe pas une position matérielle qui permette de s’en rapporter à lui pour réparer les torts causés et en prévenir le retour, il va de soi que le pays peut être considéré comme vacant, et que les tiers lésés se feront justice à eux-mêmes sans tenir aucun compte de cette souveraineté, plus nominale que réelle.

  1. Les plus grandes autorités, telles que Vattel, Pinheiro-Ferreira, Pufendorf, sont d’accord pour soutenir cette doctrine. (Voyez Vattel, Du Droit des gens, liv. Ier. ch. XVIII, édition de M. Pradié-Fodéré.)