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griefs, loin de nous en reconnaître responsables, nous nous étions considérés victimes comme eux de l’odieuse tyrannie des Hovas, et nous nous étions associés à eux pour obtenir en commun la réparation qui nous était due. Supposons que l’Angleterre eût agi seule, et que, poussant les représailles aussi énergiquement qu’elle a l’habitude de le faire, elle eût exigé du gouvernement d’Émyrne pour désarmer, à défaut d’un dédommagement pécuniaire, une cession de territoire : la France aurait-elle pu légitimement s’y opposer ? Oui, moyennant un conflit, car avec la guerre on peut tout en politique; mais en droit strict la France n’aurait rien eu à objecter à cette déclaration de l’Angleterre, qu’elle n’avait pas trouvé à Madagascar d’autre pouvoir que celui des Hovas.

Que valaient donc ces réserves si souvent répétées au sujet de Madagascar? Ce que vaut la menace éventuelle d’une grande nation quand elle l’articule aux yeux du monde entier. Pour Madagascar comme pour les puissances maritimes, c’était un avertissement, une déclaration de notre intention de reprendre à un moment donné, lorsque nous jugerions les circonstances favorables, l’exécution de nos projets d’occupation. Malgré la forme solennelle du langage, ce n’était rien de plus. Cette question de droit est d’ailleurs tranchée aujourd’hui par le traité d’amitié et de commerce du 2 septembre 1861. Par cet acte, où Radama II est intervenu comme roi de Madagascar, nous avons reconnu sans restriction sa souveraineté sur toute l’île. A la suite de cette reconnaissance, deux consuls ont été accrédités auprès de lui, — l’un qui réside à Tananarive, l’autre à Tamatave, — qui n’exercent leurs fonctions qu’en vertu d’un exequatur délivré par le souverain réel.


IV

Depuis, une révolution a éclaté dans laquelle Radama a péri sous les coups du parti hostile au progrès. La nouvelle de cette révolution est arrivée en France au moment où le commandant Dupré portait à Tananarive la ratification du traité[1]. On imaginerait difficilement un drame plus horrible que la mort de Radama II. C’est une sombre scène du moyen âge dont, à notre grand étonnement, nous nous trouvons les contemporains.

Plusieurs semaines avant la catastrophe, d’étranges symptômes l’annonçaient. On voyait courir par les rues de Tananarive des individus en proie à des hallucinations réelles ou feintes, et dont les gestes et les convulsions étaient un objet de terreur pour la foule. La reine Ranavalo leur apparaissait et leur ordonnait d’empêcher

  1. Voyez au Moniteur du 7 juillet 1863 la lettre de notre consul, M. Laborde, à M. le ministre des affaires étrangères.