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approfondira l’histoire des révolutions physiques et morales qui se sont passées à la surface de notre globe, plus on verra que l’action lente des causes ordinaires rend compte de tous les phénomènes qu’on expliquait autrefois par des causes extraordinaires. Un jour viendra où la zoologie sera historique, c’est-à-dire, au lieu de se borner à décrire la faune existante, cherchera à découvrir comment cette faune est arrivée à l’état où nous la voyons. Il se peut que les hypothèses de Darwin à ce sujet soient jugées insuffisantes ou inexactes; mais sans contredit elles sont dans la voie de la grande explication du monde et de la vraie philosophie.

La période obscure de l’histoire de notre planète durant laquelle l’homme se fit ne nous est donc pas complètement interdite. Les efforts combinés de la géologie et de la zoologie comparée en perceront jusqu’à un certain point le mystère. Ce que la philologie comparée est à l’histoire, l’anthropologie générale le sera à la philologie comparée. Cette dernière science prend l’humanité déjà divisée en familles; l’anthropologie générale cherchera la loi de sa formation même. La philologie comparée, c’est l’histoire avant la réflexion; l’anthropologie sera l’histoire avant le langage et avant la constitution des groupes d’idées qui, devenus le patrimoine de chaque race, dominent encore aujourd’hui la marche de l’humanité. La zoologie et la botanique prendront place dans cette science des temps primitifs comme les plus anciens documens de l’histoire de la vie.

L’histoire de notre planète avant l’homme et avant la vie est en un sens moins hors de notre portée, car elle roule sur des faits d’un ordre bien moins délicat. C’est le géologue qui devient ici l’historien, et qui, s’aidant de la physique générale, fait le récit des transformations que la terre a subies depuis le jour où elle exista comme globe indépendant. Dans aucune période assurément ne se passèrent des faits plus décisifs. Aujourd’hui encore nous sommes gouvernés par des accidens qui eurent lieu bien avant l’existence de l’homme. On peut dire avec vérité que le géologue tient le secret de l’histoire. Quel événement égala jamais en importance les hasards qui ouvrirent le Pas-de-Calais, le Bosphore, les circonstances purement fortuites (dans le sens tout relatif de ce mot) qui réglèrent la forme des continens, les sinuosités des mers, la proportion des surfaces émergentes et des surfaces submergées, la nature des sous-sols destinés à chaque race, et qui ont eu une influence si capitale sur la destinée de chacune d’elles? Que fût-il arrivé, si entre la Méditerranée et les mers du couchant et du nord ne se fût pas allongée cette terre prédestinée à être le cœur de l’humanité; si l’Islande et le Groenland, inclinés de quelques degrés vers le sud, eussent livré une route plus anciennement ou plus régulièrement