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cause de l’impossibilité où sont la plupart des esprits de concevoir d’une manière large et féconde l’histoire de l’univers.

Mais le système solaire lui-même est-il éternel? Ne pouvons-nous le dépasser? Nous le dépassons sans contredit, puisque par l’astronomie sidérale nous apprenons que le système solaire n’est qu’un point dans l’espace, un système entre des milliers de systèmes analogues. Si aucune donnée ne nous reste sur le commencement du soleil, ce commencement néanmoins a dû exister. Les nébuleuses, la voie lactée, sont les documens de cette très vieille histoire; mais, hélas! d’incurables impossibilités nous arrêtent ici. L’astronomie, arrivée à ces distances, ne fait plus que balbutier, et si nous étions réduits à son témoignage, nous devrions croire que le point le plus élevé de notre connaissance est le Soleil. Au-delà, nous ne saurions qu’une chose, c’est que le Soleil n’est pas seul de son espèce, qu’il y a d’autres soleils, sans doute de même nature et assujettis aux mêmes lois que celui que nous connaissons.

C’est ici que votre chimie intervient avec ses souveraines clartés. Beaucoup de petits faits portaient depuis longtemps à croire que les corps répandus dans l’espace sont de la même composition que ceux qui forment notre globe. Bunsen et d’autres que vous connaissez mieux que moi ont démontré cette vérité capitale : la chimie du soleil est la même que celle de la terre; les corps simples du soleil sont les mêmes que ceux de notre planète. La chimie dès lors cesse d’être une science terrestre, comme la géologie; c’est une science qui domine au moins tout le système solaire, et qui très probablement s’étend au-delà. Les expériences de Bunsen s’appliquent-elles dans une mesure quelconque aux étoiles fixes? Je l’ignore; mais la haute analogie de ces étoiles avec le soleil fait croire que la chimie comme nous la connaissons s’y applique également. Cela équivaut à dire que la chimie nous révèle des faits anté-solaires, qu’elle nous fait atteindre une époque de l’histoire où la distinction des systèmes de mondes n’existait pas, au moins dans certaines régions de l’espace. Qu’est-ce que la chimie dans cette conception ? L’histoire de la plus vieille période du monde, l’histoire de la fondation de la molécule. Ne pensez-vous pas que la molécule pourrait bien être, comme toute chose, le fruit du temps, qu’elle est le résultat d’un phénomène très prolongé, d’une agglutination continuée durant des milliards de milliards de siècles? Quoi qu’il en soit, la chimie précède évidemment l’astronomie, puisqu’elle nous révèle des lois et un développement antérieurs à l’existence individuelle des globes célestes. Par elle, nous plongeons dans un monde où il n’y a ni planète ni soleil; nous dépassons la période solaire, nous sommes en pleine période moléculaire. Ne pouvons-nous encore remonter au-delà?

C’est vous qui me le fîtes remarquer un jour : la physique mécanique