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compris cela. La « chiquenaude » de Descartes ne suffit pas. Avec cette chiquenaude, on ne sortirait pas de la mécanique, et, à vrai dire, ce grand esprit n’en sortit jamais. Il faut la tendance permanente à être de plus en plus, le besoin de marche et de progrès. Il faut admettre dans l’univers ce qui se remarque dans la plante et l’animal, une force intime qui porte le germe à remplir un cadre tracé d’avance. Il y a une conscience obscure de l’univers qui tend à se faire, un secret ressort qui pousse le possible à exister. L’être m’apparaît ainsi comme un compromis entre des conditions opposées; comme une équation qui, dans la plupart des hypothèses, donne des solutions négatives ou imaginaires, mais qui, dans certains cas, en donne de réelles; comme un van qui ne laisse passer que ce qui a droit de vivre, c’est-à-dire ce qui est harmonieux. Mille espèces ont existé ou tendu à exister qui n’existent plus. Les unes n’ont duré qu’un siècle, les autres ont duré cent siècles, parce qu’elles avaient des conditions d’existence plus ou moins étroites (la girafe, le castor, la baleine, expirent de nos jours). Les unes se sont brisées tout net, les autres se sont modifiées; d’autres n’ont eu qu’une existence virtuelle, laquelle, faute de conditions avantageuses, n’a point passé à l’acte. L’univers est de la sorte une lutte immense où la victoire est à ce qui est possible, flexible, harmonieux, où tout s’équilibre, se plie, se balance. L’organe fait le besoin, mais il est aussi le résultat du besoin; en tout cas, le besoin lui-même qu’est-il, si ce n’est cette conscience divine qui se trahit dans l’instinct de l’animal, dans les tendances innées de l’homme, dans les dictées de la conscience, dans cette harmonie suprême qui fait que le monde est plein de nombre, de poids et de mesure? Rien n’est que ce qui a sa raison d’être; mais on peut ajouter que tout ce qui a sa raison d’être a été ou sera.

Ce qu’il y a de certain, c’est que tout développement commencé s’achèvera. Émettre telle assertion n’est pas plus téméraire que d’affirmer que la graine deviendra un arbre, l’embryon un animal complet. Sans doute on n’a jamais le droit de dire cela pour les cas particuliers : il n’est jamais sûr que telle graine ou tel embryon ne traversera pas des chances mauvaises, qui arrêteront son développement; mais ces chances mauvaises se perdent dans l’ensemble. D’innombrables germes de fleurs périssent chaque année ; nous savons cependant qu’il y aura des fleurs le printemps prochain. — Or nous saisissons plusieurs phases d’un développement qui se continue depuis des milliards de siècles avec une loi fort déterminée. Cette loi est le progrès, qui a fait passer le monde du règne de la mécanique à celui de la chimie, de l’état atomique et moléculaire à l’état solaire, si j’ose le dire, c’est-à-dire à l’état de masses isolées dans l’espace; qui a tiré de la masse solaire des existences