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mises en mouvement par deux machines indépendantes. Le monitor ressemble alors à un poisson qui se dirige avec ses nageoires latérales, et sa mobilité supplée à celle des tours primitives. On serait entraîné trop loin, si l’on voulait entrer dans l’examen de toutes les créations et de tous les perfectionnemens récens de la marine fédérale : ce que j’ai voulu faire ressortir, c’est qu’en quelques années, on pourrait même dire en quelques mois, cette marine est devenue très formidable, et que le génie de la race américaine, si fécond dans les arts mécaniques, a très rapidement fourni au gouvernement des États-Unis des armes particulièrement appropriées, il est vrai, à la guerre actuelle, mais capables peut-être de se mesurer avec les plus puissans engins de destruction que l’Angleterre et la France ont laborieusement construits pendant les dernières années. La guerre civile n’a pas seulement donné aux États-Unis une armée, elle leur a encore donné une marine, et les forces nouvelles survivront aux événemens qui les ont fait naître.


II

La guerre civile des États-Unis, ai-je dit, n’est pas seulement une guerre, c’est aussi une révolution. Les conséquences politiques de la lutte, encore obscurcies par la fumée des batailles, n’en commencent pas moins à se dégager de plus en plus nettement. Avant la guerre, la politique intérieure des États-Unis pouvait se résumer en ces trois termes : triomphe de l’école démocratique, affaiblissement du pouvoir fédéral, extension indéfinie de l’esclavage. Depuis la guerre, elle peut se résumer dans les trois termes opposés : triomphe du parti républicain, extension de l’autorité centrale, destruction de l’esclavage.

De même que les médecins profitent de la maladie pour mieux sonder la structure du corps humain, le philosophe politique peut étudier en ce moment sur le vif, en quelque sorte, la constitution américaine. Quand Tocqueville en fit l’analyse dans un livre célèbre, il jeta un regard inquiet sur l’avenir. Malgré les tendances pessimistes et mélancoliques de son esprit, malgré son instinctive défiance des institutions auxquelles il avait pourtant élevé un si durable monument, il ne prévoyait certes pas que l’heure des grandes crises fût si rapprochée. Cette heure a sonné, et, dès le jour où éclata la guerre civile, la presse et les hommes, d’état d’Europe n’eurent qu’une voix pour déclarer que la constitution des États-Unis, et avec elle les principes mêmes des institutions démocratiques, étaient mis à une redoutable épreuve. Il y avait dans ce sentiment assez général une part de vérité aussi bien qu’une part d’erreur. Il est certain qu’en aucun temps, en aucun pays, les idées