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leur livrait des soldats dans tous ces fugitifs qui quittaient déjà Varsovie ; ils n'avaient ni armes, ni ressources, ni moyens de soutenir la lutte au-delà de quelques jours. Ils se demandaient ce qu'on pouvait faire : jeter le pays tout entier, autant qu'on le pouvait, dans cette tragique aventure, ou se résigner encore et laisser la Russie proclamer devant l'Europe la Pologne soumise et vaincue sans combat. Une première réunion eut lieu, il n'y eut d'abord que deux voix pour l'insurrection immédiate. Quelques-uns des membres du comité étaient si vivement pénétrés du péril d'un mouvement prématuré que pour l'empêcher à tout prix ils ne reculaient pas devant une résolution aussi extraordinaire qu'héroïque : ils proposaient à leurs compagnons de se rendre tous le lendemain à midi chez le grand-duc Constantin et de se livrer à lui. Le pays serait ainsi averti qu'il restait abandonné à lui-même, qu'il ne devait attendre aucune direction; ceux qui étaient déjà en armes sauraient qu'ils étaient seuls, sans espoir de secours, et à ce prix de la vie de quelques chefs, tout au moins de leur liberté, une catastrophe pourrait encore être détournée. Ce n'est pas ce qu'il y avait d'héroïque dans un tel acte d'abnégation qui arrêta ces hommes énergiques; mais ils virent bien vite que, ne fussent-ils plus là, d'autres plus jeunes, plus emportés et placés à côté d'eux, allaient s'emparer du mouvement en lui donnant un caractère plus dangereux, que leur sacrifice serait inutile, et tout fut décidé. Le grand-duc Constantin n'eut pas la visite de ces hôtes inattendus, et de toutes parts le signal de l'action fut lancé.

Ainsi s'ouvrait ce duel inégal et naissait cette insurrection, personnifiée tout d'abord non-seulement dans des bandes improvisées surgissant partout à la fois, mais encore dans ce comité qui, toute délibération cessant, se mettait à l'œuvre avec une audace surprenante, concentrant dans ses mains la direction du mouvement, suppléant à tout ce qui lui manquait par la force d'une résolution indomptable, agissant sous les yeux mômes des autorités russes, qui n'y voyaient rien, et opposant gouvernement à gouvernement. Ceux qui à l'origine étaient entrés dans ce comité formé par eux, et qui maintenant recevaient, un peu de leur propre hardiesse, un peu des circonstances, la mission redoutable de diriger une révolution, étaient douze jeunes gens obscurs, sans nom, sans grande position, mais prêts à tout entreprendre et toujours prêts à mourir. Ils n'avaient d'autre titre pour s'imposer au pays qu'une foi patriotique poussée jusqu'à l'exaltation, une jeunesse aspirant le combat, et c'est avec cette ardeur mêlée d'habileté qu'ils avaient, réussi à créer, même à côté de l'organisation plus légale et plus ostensible du parti modéré, cette organisation secrète, aux allures conspiratrices,