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qui au jour de la crise devenait une force devant laquelle la Russie s’est sentie impuissante. C'était leur oeuvr de deux années. De ces douze jeunes; gens de la première heure, combien en est-il de vivans aujourd'hui ? Un seul peut-être ; les autres ont péri sur les champs de bataille ou dans les supplices. Sigismond Padlewski en était, il a été fusillé à Ploçk. Comme avant l'exécution le général russe l’interrogeait une dernière fois, lui laissant entrevoir un pardon possible et même un avenir brillant dans l'armée du tsar, s'il voulait se rendre au camp des insurgés pour les engager à déposer les armes, il reçut cette proposition comme un outrage, et marcha fièrement au supplice en demandant pour toute grâce de n'avoir pas les yeux bandés devant la mort. Léon Frankowski, un autre des chefs des premières bandes, tout jeune encore, pris un jour parmi des blessés, a été traîné à Lublin, soigné pendant deux mois, guéri, — et pendu! D'autres ont eu une mort plus obscure.

Lorsque cette insurrection du 22 janvier 1863 a eu envahi la Pologne tout entière comme un irrésistible incendie, et que cette protestation du premier moment a pris la forme d'un énergique et sérieux soulèvement, la Russie n'a rien trouvé de mieux que de chercher à voiler sous cette immense explosion l'acte qui mettait le feu à tout un pays : elle a cru habile d'abriter ses provocations derrière ce grand et souverain argument d'une défense légitime contre une agression préméditée, contre un plan systématiquement combiné: elle a fait briller aux yeux de l'Europe cette sombre et sanglante fantasmagorie de vêpres polonaises, d'une Saint-Barthélémy des soldats russes accomplie partout à la fois, à heure fixe. Sans doute la Pologne s'était relevée depuis deux années et s'était sentie revivre; une sève nouvelle animait ce corps si souvent meurtri par les répressions. Cette organisation dont je parlais existait, et puis il sera toujours vrai de dire que dans toute pensée polonaise il y a un complot d'affranchissement qui n'attend qu'une occasion; mais ce qui est curieux justement, c'est que si l'insurrection était le rêve invariable des esprits ardens, si les hommes de l’action en parlaient sans cesse, comme on parle de ce qu'on désire, au dernier moment tout échappait au calcul; rien n'était prévu ni préparé. Le signal suivait l'action plus qu'il ne la précédait; et de là le caractère du mouvement à sa naissance. Tout était spontané; des bandes se rassemblaient sans savoir où elles allaient, poussées par l'instinct de la défense. Des chefs improvisés, inconnus de ceux qu'ils commandaient, étaient obligés de discipliner leurs soldats entre deux engagemens; on se battait sans armes, sans munitions. Rien ne peint mieux la physionomie de l'insurrection polonaise dans ces premiers temps, que cet héroïque combat de Wengrow, dans le palatinat de