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Il en est un autre de qui un journal anglais a dit : « Celui-là est mort de la main des soldats à qui il avait fait tant de bien. » C'est Sigismond Sierakowski. L'empereur Nicolas l'avait enveloppé tout jeune encore dans une de ses proscriptions et l'avait fait soldat dans le corps d'Orenbourg, où il avait eu sous les yeux la misérable servitude dans laquelle vivait le soldat russe. Au commencement du règne d'Alexandre II, il avait été rappelé à Saint-Pétersbourg et était devenu officier d'état-major. Dès ce moment, Sierakowski n'eut plus qu'une pensée fixe, celle de faire cesser le dégradant régime militaire dont il avait été le témoin. Il multiplia les travaux, les enquêtes, les mémoires, et c'est en réalité un de ceux qui ont le plus contribué à l'abolition des peines corporelles dans l'armée russe. Il avait assez attiré l'attention des généraux de Pétersbourg pour se faire écouter d'eux, pour être envoyé successivement à un congrès de statistique à Londres, puis en France et en Algérie. C'était un homme nerveux et agité, d'un cœur ardent, d'un esprit infatigable, d'autant plus accessible à un certain mysticisme qu'il avait plus souffert, sans haine d'ailleurs pour la Russie, mais Polonais avant tout et nourrissant toujours en lui-même le rêve d'une patrie indépendante.

Quand l'insurrection éclata, il donna ostensiblement sa démission d'officier russe et se tint prêt à servir la cause nationale. Il commença avec une petite bande qui grossit rapidement et arriva bientôt à compter plus de deux mille hommes. C'était une force redoutable entre de telles mains, et qui pendant quelque temps soutint énergiquement la lutte. Malheureusement Sierakowski, engagé dans un combat inégal à Madejki, fut blessé d'une balle qui atteignit l'épine dorsale. Le lendemain, il fut pris dans une petite ferme où il avait été recueilli avec quelques-uns de ses compagnons. Auprès de lui était un jeune homme brillant et riche, le comte Kossakowski, qui n'avait point été blessé dans le combat et qui aurait pu facilement se cacher dans une de ses propriétés voisines, mais qui ne l'avait pas voulu, parce que, disait-il, il ne pouvait pas abandonner son général dans le malheur. Sierakowski fut traduit devant un conseil de guerre. Vainement il demanda à être jugé régulièrement; on ne l'écouta pas. Il fut condamné à être pendu. Tout blessé, ne pouvant se mouvoir, il fut porté au supplice. Là il écouta son arrêt, niant énergiquement quelques-unes des accusations dirigées contre lui, confirmant les autres du geste et de la voix. Au dernier moment, il se redressa d'un effort désespéré et se débattit contre les exécuteurs. Puis ce blessé, qui ne pouvait se tenir debout, fut hissé au bout d'une corde par ces soldats mêmes qu'il avait contribué à affranchir du bâton et des châtimens dégradans. Sierakowski ne pouvait plus vivre avec sa blessure; il fut pendu