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S'il est une chose enfin de nature à révéler la puissance de ce gouvernement, c'est cette sommaire et redoutable justice qui s'accomplit quelquefois en son nom. Trouver jusqu'à des exécuteurs volontaires, c'est résoudre un singulier problème que n'a pas résolu, quant à elle, la Russie, qui a trouvé un refus de concours jusque dans le bourreau, et qui a été obligée d'y suppléer par ses soldats, C'est là sans doute le côté sombre de cette action occulte. Il faut dire pourtant que le gouvernement de Varsovie n'agit que pour sa défense, que ses rigueurs n'ont atteint en général que des espions et des traîtres, qu'il a prévenu assez souvent avant de recourir au châtiment, que, même en cette extrémité, il y a une sorte de régularité, un jugement, une sentence publiée et affichée. Alors l'exécution est terrible et foudroyante. On a vu l'exemple de cet agent de la police russe qui, condamné à mort à Varsovie, croyait pouvoir se sauver à Pétersbourg, et qui là même, jusque dans la capitale de la Russie, était suivi par la redoutable justice qui le frappait. Les journaux sont certes aussi une des manifestations les plus curieuses de cette situation extraordinaire. Outre le journal officiel, l'Indépendance (Niepodleglosc), et sans parler des journaux qui paraissent dans la Lithuanie et dans la Ruthénie, on compte à Varsovie une multitude de feuilles, le Mouvement, le Journal national , la Pologne, l’Aigle blanc, la Voix du Prêtre, la Cloche religieuse, le Réveil des chants nationaux. Tous ces journaux sont imprimés, distribués, vendus; ils vont jusque dans les provinces. Comment s'impriment-ils? Quelques-uns pourtant sont d'une exécution assez soignée, d'une dimension comparable à celle de nos journaux, et supposent un matériel assez considérable, assez varié.

Il y a encore aujourd'hui en Europe bien des esprits pour qui ces faits n'ont rien de possible, et ne sont que le roman passionné et sincère d'imaginations douloureusement exaltées, qui ne peuvent arriver à comprendre tout ce mouvement de choses : gouvernement insaisissable, ordres, qui s’exécutent, impôts méthodiquement perçus, journaux qui se publient en face et sous les yeux mêmes d'un pouvoir formidablement armé. D'abord pour l'impôt il n'y a pas à douter : les journaux russes eux-mêmes en ont parlé plus d'une fois. «Le gouvernement clandestin, a dit l'Invalide, continue à percevoir les impôts avec une énergie, croissante. Les Russes ne sont pas exemptés : un propriétaire russe, M. M..., nous a montré un imprimé qu'il avait reçu, et qui était revêtu du sceau du gouvernement national. » En outre, à un point de vue supérieur, et sans s'arrêter à des détails, le secret de cette situation est bien simple : il est dans la complicité universelle, il est dans l'impuissance radicale d'une domination réduite à l'isolement et à l'embarras de la force au milieu d'une nation à laquelle elle est restée absolument étrangère, dont elle n'est