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Jupiter), y monte et dit à Tiberius que dans l’assemblée du sénat, le consul ayant refusé de le faire arrêter, on a résolu de le tuer, que les sénateurs ont armé à cet effet un grand nombre de cliens et d’esclaves. Ce qui se passa peu d’instans après prouva que Flaccus avait dit la vérité. Tiberius communique à ses amis ce qu’il vient d’apprendre, ceux-ci ceignent leurs toges comme pour le combat, saisissent, brisent les verges des licteurs et s’arment de leurs débris pour se défendre. Comme ceux qui sur la place étaient éloignés de Tiberius et de ses amis ne comprenaient point ce qu’ils leur voyaient faire, Tiberius porta les mains à sa tête pour donner à entendre que sa vie était en danger. Ce geste fort innocent le perdit, ses ennemis s’écrièrent qu’il demandait au peuple le diadème royal, et quelques-uns coururent porter cette nouvelle absurde au sénat. Le sénat était réuni, lui aussi, sur le Capitole, dans le temple de la Bonne-Foi, près de celui de Jupiter. Je ne sais si le temple de la Bonne-Foi était bien le lieu d’assemblée que le sénat aurait dû choisir ce jour-là. Le plus violent des patriciens, Scipion Nasica, demanda aussitôt au consul de sauver la république et d’exterminer le tyran. Le consul répondit qu’il résisterait à toute tentative factieuse, mais qu’il ne ferait point mettre à mort sans jugement un citoyen romain. Alors Scipion s’écrie : « Puisque le consul trahit la cité, que ceux qui veulent défendre les lois me suivent. » C’est lui qui désobéissait au consul, et par conséquent aux lois, que personne n’attaquait, car tout se bornait à un vote tumultueux, mais il n’y avait nulle révolte. Le vrai motif de Scipion Nasica était celui que nous fait connaître Plutarque : « il se déclara son ennemi à toute outrance pour ce qu’il possédoit grande quantité de terres publiques et étoit fort marry de se voir contraint à force d’en vuider ses mains. »

Alors, jetant un pli de sa toge sur sa tête, ce qui pour un Romain était se couvrir[1], Scipion Nasica s’élança vers les marches du temple de Jupiter, sanctuaire de sa famille, et près duquel son père avait élevé un portique, tandis que Gracchus était sur la place, au milieu des siens. D’autres suivirent Scipion, et, entortillant leur robe autour de leur main gauche, en manière de bouclier, ils se ruèrent sur la foule, qui, par une habitude de respect, dans toutes les émeutes se dispersait toujours devant les sénateurs. Ils arrachèrent les débris des verges des licteurs aux mains qui s’en étaient armées; eux-mêmes avaient apporté des massues, de gros bâtons, ils y joignaient les pieds des tables et des sièges que la foule ren-

  1. A Rome, on saluait en découvrant son front voilé par la toge, comme nous saluons en ôtant notre chapeau.