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déjà, combattant ou arrivant en toute hâte, 95,000 hommes d'infanterie, 12,000 hommes de cavalerie régulière, 10,000 Cosaques et 8,000 artilleurs avec 200 bouches à feu dans le royaume, sans compter les troupes amassées dans la Lithuanie et dans les autres provinces polonaises. Cette armée avait naturellement toutes les ressources d'armes perfectionnées, tous les moyens de guerre dont dispose un des plus puissans états militaires. L'insurrection ne comptait pas encore plus de 20,000 hommes rassemblés spontanément, n'ayant d'autre discipline que le lien du désespoir et de l'enthousiasme patriotique, mal vêtus, à peine armés et sans munitions. Et pourtant l'armée russe a été tout d'abord plus que battue dans des rencontres de tous les jours; elle s'est vue réduite à borner son occupation permanente aux villes principales, en hasardant tout au plus quelques colonnes dans les campagnes laissées aux insurgés ; elle s'est sentie aussitôt débordée et déconcertée par le mouvement grandissant. Il lui a fallu plus de deux mois pour atteindre une armée qui se formait devant elle et autour d'elle, pour obtenir un avantage qui n'était décisif qu'en apparence, car ce n'était plus, après ces deux mois, une insurrection à dompter, c'était une nation tout entière à soumettre et à reconquérir.

Ce mouvement national tout-puissant et invincible, les généraux russes eux-mêmes, ont peut-être contribué à le laisser grandir par le décousu de leurs opérations, par l'incertitude de leurs combinaisons et de leurs plans, surtout par une action qui semblait douter, de son propre droit et de sa propre efficacité. Ils n'ont pas été habiles, je le veux bien, on l'a dit, et c'est leur faiblesse qui a fait un moment le succès de l'insurrection; mais ce qui a surtout donné au mouvement sa puissance et son énergique vitalité, c'est le caractère même des premières répressions, le déchaînement de toutes les passions d'une soldatesque laissée à ses instincts, l'excès de la violence dans l'impuissance; c'est enfin ce genre de guerre d'une armée se vengeant de n'avoir pu atteindre les insurgés sur les villages qu'ils traversaient et sur des populations sans défense, pillant et dévastant au lieu de combattre et laissant sur son passage la trace lugubre des, scènes de Wengrow, de Tomaszow, d'Ojcow, de Siemiatycze, de Voislawice. L'impuissance, de l'armée russe a tenu sans doute à la force incompressible de l'insurrection; mais elle est venue aussi en grande partie ,de ce système de guerre, et de la démoralisation qui s'en est suivie. Une fois dans cette voie, la Russie ne s'est, plus arrêtée, et si l'on voulait, marquer le moment où l'excès d'une politique exaspérée par l'impuissance d'une action régulière n'a plus de bornes, ce serait l'heure où cette vaine amnistie du 1er mai écartée, Berg étant, à Varsovie, Mouravief à Wilna, Dlotowski à Dunabourg,