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par lequel la domination russe constate elle-même l’incompatibilité de sa situation et d’un ordre régulier en Europe.

Voilà le dernier mot de cette redoutable crise qui depuis huit mois amasse les sympathies et les controverses passionnées autour d’une cause qui a pour elle le droit, l’héroïsme et le malheur. Et maintenant, qu’on ne s’y trompe pas, aujourd’hui comme hier, plus encore qu’hier peut-être, le problème est là, debout et poignant. Ce n’est plus le moment de choisir une politique. Au premier jour sans doute, l’Europe pouvait s’arrêter, elle pouvait s’abstenir de toute intervention, de toute démarche ostensible; ce n’eût pas été absolument héroïque, c’eût été une neutralité définie d’avance, une neutralité sans engagemens et sans devoirs. Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. L’Europe s’est placée d’elle-même dans une voie où elle s’est avancée peut-être sans croire à la guerre, et où elle est allée trop loin pour rétrograder jusqu’à une paix dans laquelle s’affaisserait sa politique humiliée. Ce n’est pas par un mot ou par des traités que l’Europe est engagée; elle est liée par une situation tout entière, par l’attitude qu’elle a prise vis-à-vis de la Russie, par ses déclarations multipliées, et bien avant de reconnaître diplomatiquement l’insurrection polonaise, elle l’a reconnue moralement. Le ministre des affaires étrangères de France lui a imprimé le sceau de la légitimité le jour où il a écrit : « Le soulèvement dont nous avons le spectacle a été provoqué par une mesure qui, dans l’état des esprits, ne pouvait manquer d’avoir les plus fâcheuses conséquences. La Pologne y a répondu en faisant appel non aux passions révolutionnaires, mais à ce qu’il y a de plus élevé dans le cœur des hommes, aux idées de justice, de patrie et de religion. N’est-ce pas un fait d’une notoriété incontestable que la nation polonaise tout entière, chacun et chaque classe selon ses moyens, activement ou passivement selon les lieux et les circonstances, est acquise corps et âme à l’insurrection? » Et quand l’autre jour lord John Russell proclamait publiquement la fin des traités de 1815 en ce qui touche la Russie, n’élevait-il pas le droit de la Pologne renaissante sur la ruine du seul titre légal de la domination russe?

Il y a un fait qui lie peut-être plus étroitement encore l’Europe, c’est que de son intervention est né sous quelques rapports le caractère de la lutte sans merci dans laquelle se débat aujourd’hui la Pologne. On a vu, depuis un siècle, d’autres chocs sanglans entre Russes et Polonais; ils se livraient plutôt entre le pays conquis et le gouvernement de Pétersbourg sans que la nation russe elle-même s’y mêlât activement. Ce qui fait la nouveauté et la gravité de la lutte actuelle, c’est l’excitation d’une passion nationale en Russie, sa complicité dans les répressions, et cette passion, c’est l’intervention