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La cour des Encumbered Estates a, comme on dit dans nos colonies, blanchi un quart de la propriété. Une classe moyenne territoriale commence à se former; elle est presque tout irlandaise d’origine et souvent catholique. La plupart des conseils donnés par M. de Cavour ont été suivis. L’état prête à l’agriculture; des voies de communication sont partout ouvertes; les routes d’Irlande valent celles d’Angleterre; le pays est sillonné de chemins de fer ; les paquebots transatlantiques s’arrêtent à Cork et à Derry, il en part de Galway pour les États-Unis; les banques et les institutions de crédit couvrent l’Irlande... Cependant la misère est toujours là. Adopterait-on les excellentes suggestions de M. Pim, qui aboutissent à la mobilisation de la propriété, à la liberté et à la fermeté des contrats territoriaux, une des causes de la misère n’existerait plus, la détresse existerait toujours. Disons les deux raisons fondamentales des maux de l’Irlande moderne, et commençons par le mal que personne ne pouvait empêcher, ni gouvernement, ni propriétaires, ni fermiers, car il est moins dur de subir la tyrannie du sort que la tyrannie de son semblable.

En cent quarante-six ans, la population de l’Irlande a doublé, elle a quadruplé, elle est même devenue huit fois plus considérable. Elle était en 1695 de 1,034,000 habitans, en 1788 de 4,040,000; elle avait atteint, en 1841, avant la famine, le chiffre de 8,175,000. On comprend que, fécondée par le travail de l’agriculture, une même terre puisse nourrir un plus grand nombre d’habitans, et que le travail industriel puisse, par ses produits, donner à une population nouvelle de nouveaux moyens de subsistance; mais les choses ne se sont pas passées ainsi en Irlande : il est unanimement reconnu que la fertilité du sol n’y a pas augmenté et que l’industrie y a diminué. Ainsi huit personnes ont dû vivre avec les ressources qui en faisaient vivre une seule. Admettons, si l’on veut, l’inexactitude des anciennes statistiques; reconnaissons que la population de l’Irlande avait diminué avant 1695 de 300,000 habitans par suite des guerres civiles; disons que la portion de terre cultivée est aujourd’hui d’un cinquième ou d’un quart plus considérable qu’alors; réduisons les chiffres de moitié. Il restera toujours que quatre personnes au lieu d’une devront tirer leur aliment d’une même terre douée d’une même fertilité. Dans aucun pays de l’Europe, il n’y a d’exemple ni d’un accroissement si grand de la population, ni d’une augmentation si petite des facultés productives. Si la fécondité de la terre ne s’est pas développée, l’introduction d’une denrée alimentaire nouvelle, singulièrement productive dans ce sol et sous ce climat, a permis à une population quadruple de subsister. Aussi une partie considérable de la population vit-elle sans rapports économiques