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Malheureusement, s’il n’y a pas de travail en Irlande, il y a encore moins de capital. La situation économique et sociale empêche le capital de s’y former, et la situation politique l’empêche d’y venir. Chaque année, l’Irlande se vide; chaque année, elle est dépouillée de son capital, comme un champ de ses fruits après la moisson. Il est impossible que la population du conacre et celle des fermiers d’un ou deux acres, dont le sort est analogue, puissent faire aucune épargne. Les bonnes années, elles vivent sur les pommes de terre qu’elles ont récoltées et qu’elles consomment. Dans les années médiocres ou moyennes, elles comblent le déficit au moyen de farine de maïs venue des États-Unis, et vont remplir les maisons de charité. Elles diminuent ainsi le capital national et tombent à la charge de la propriété. L’état improductif, dépensier malgré la misère, de la population qui vit de ses bras, de celle qui chez nous accroît sans cesse le capital national et augmente sans cesse la valeur de la propriété, est certainement un des embarras économiques les plus graves de l’Irlande.

Il y a moins de différence dans la situation des fermiers comparée à des situations analogues dans d’autres pays; mais les habitudes et les mœurs sont venues aggraver les difficultés. On sait que, l’accroissement de la population ayant rendu le travail incertain et les salaires précaires, la compétition a été ardente pour le loyer de la terre. Le prix des locations est donc plutôt élevé, excessif pour les mauvaises terres divisées par parcelles, raisonnable pour les bonnes terres et les grandes fermes; mais on ne loue pas seulement la terre, on vend en même temps le loyer. Le fermier entrant doit acheter la bonne volonté du propriétaire ou la bonne volonté du fermier sortant, souvent celle de tous les deux, par la remise immédiate d’une somme qui monte parfois à cinq, six années de loyer, et plus. Un témoin digne de foi, cultivateur lui-même, écrivant d’Irlande à un journal écossais pour démontrer que la misère de l’Irlande tenait à la diminution de fertilité causée par une culture épuisante, raconte ce fait significatif et presque général. Deux fermes de son voisinage venaient d’être louées à leur valeur avec des baux assez courts, et pour chacune la bonne volonté avait été achetée 13 livres sterling ( 325 fr. ) l’acre, dix fois la valeur de l’ancien loyer. Que devient, avec ce système, le capital de culture? Il va chez le propriétaire, ou passe de fermier à fermier sans jamais féconder le sol. On ne donne rien à la terre, on en retire tout. Le fermier s’est obéré pour entrer en jouissance ; il lui faut se libérer au plus vite et se hâter de pratiquer les deux axiomes de l’agriculture irlandaise : « pas de jachères et pas d’engrais. »

L’usage de faire payer la faveur d’une location indépendamment