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serait tombé sans lui dans la dégradation du malheur. Il a ennobli les maux de la vie présente par l’espérance de la vie future. Si, dans une situation matérielle souvent comparée pour la souffrance au servage ou à l’esclavage, les âmes sont restées libres, si le peuple irlandais est moralement l’égal des peuples heureux, c’est grâce au clergé catholique. Ce clergé doit s’attribuer des droits sociaux et politiques d’une nature particulière, et l’on ne peut pas s’étonner si dépouillé et offensé en cessant d’être opprimé, il porte aujourd’hui l’esprit d’opposition sociale et politique au-delà de ce qu’exigent les circonstances et au-delà de ce que demande l’intérêt des classes malheureuses. Uni à la pauvreté par tant de liens, vivant de l’aumône des misérables, il doit partager-les passions qui conduisent aux crimes, tout en imposant un frein efficace aux crimes. Ses services l’ont rendu puissant, et la puissance l’a fait ambitieux; le lecteur a pu en juger par l’analyse du manifeste de l’archevêque de Dublin. Qu’il soit permis de le dire, en reconnaissant toutes les justifications du passé et même celles du présent, si l’ordre est impossible avec un état dans l’état, comme on dit en France, l’ordre est encore plus impossible avec une théocratie sociale dans une société fondée sur le principe de la liberté civile. Ce qui a été le salut du peuple dans les temps d’oppression devient dans un temps de liberté un grand obstacle à l’amélioration de son sort. La paix sociale ne peut s’établir, si un clergé que sanctifient la foi et la nationalité vient séparer d’abord sans doute le catholique du protestant, mais ensuite, quelles que soient les croyances et la nationalité, le pauvre du riche, le paysan du propriétaire, l’ignorant de l’instruit et le justiciable du juge.

En même temps il est impossible que le clergé catholique d’Irlande consente à désarmer devant le gouvernement et devant la société, impossible qu’il abdique son action politique et sociale, si une réparation éclatante ne lui est pas offerte, si une justice complète ne lui est pas rendue. Son seul vice est l’orgueil ; en recevant un salaire, il craindrait de paraître déserter la cause nationale : il n’abandonnera pas l’aumône du peuple pour le traitement de l’état, le secours des pauvres pour la protection des riches. Rien ne sera accepté par lui, hormis le partage des terres et des dîmes entre l’église anglicane et l’église catholique.

La mesure qui établirait l’égalité entre les deux clergés serait d’elle-même un traité d’union politique et sociale, d’union entre l’Angleterre et l’Irlande, d’union entre les pauvres et les riches. Par la reconnaissance légale de l’existence du clergé catholique, on effacerait les souvenirs de la défaite nationale et l’amertume des persécutions religieuses. Donner à l’Irlande la liberté civile, la liberté