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travail le degré suprême d’égalité et de monotonie d’une mécanique, qu’ils arriveront à la perfection. Ils abdiquent toute expression dans leur tracé, et croient toucher le but lorsqu’ils ont rendu leur main semblable à cette tige d’acier de la machine à piquer et à tracer dont ils font un trop fréquent usage. Que de temps perdu, que de peine, pour vaincre ainsi ses muscles, détruire toute manifestation de la vie, de l’esprit, toute inspiration en un mot de cet art suprême qui ne se trouve que dans les œuvres émues, si nous pouvons ainsi parler, c’est-à-dire dans les œuvres où la généreuse agitation du sang se fait sentir et détruit l’implacable uniformité! Cette grande rectitude, qui préoccupe avant tout l’artiste industriel de nos jours, l’empêche de saisir la poésie, la philosophie de son travail, et par conséquent de l’aimer. Ce n’est plus qu’un automate chargé d’exécuter mécaniquement le dessin qu’on lui donne. Là se borne son art, il en ignore complètement les procédés divers. Dès lors comment l’ouvrier peut-il être indépendant de l’entrepreneur? S’agit-il par exemple de faire une simple coupe d’argent, une timbale, un couvert, ou bien une reliure, un coffret, un objet quelconque enfin : il faudra s’adresser à vingt personnes différentes. Celui-là fournit la matière, cet autre donne la forme, un troisième la polit; puis l’œuvre passe en d’autres mains pour les soudures, les guillochés, la gravure des ornemens, celle des chiffres, et ainsi de suite, de telle sorte que chaque ouvrier, habile pour un détail, mais incapable de comprendre l’ensemble, n’est que le rouage infime d’un tout sans caractère et sans unité.

Est-ce un luxe bien enviable que de posséder la plupart des choses que nous examinons ici? Voyez tous ces bronzes, ces pendules, ces statuettes, ces candélabres : quelle fatigue dans l’agencement et quelle prétention! Comme tous, à bien peu d’exceptions près, sont tourmentés! Quel oubli absolu des lois d’unité, d’harmonie, qui doivent relier les diverses parties et en faire un tout, un monument enfin! Hélas! chaque morceau est fait à part et en vue de quelque autre objet. Ce pied de lampe va servir à un calice, à une torchère, à un chandelier; cette statuette peut à volonté se tordre sur une pendule, ou supporter une corbeille dorée, un vase, que sais-je encore? Si le goût est borné, l’imagination en ce genre1 est fertile. Tous ces objets brillans d’or et d’argent sont-ils en cuivre, en fer ou en zinc? Approchez, et vous verrez au-dessous galvanoplastie, alfénide, orfèvrerie Christofle, zinc d’art, etc. On le voit, le fabricant, fier de ses résultats industriels, ne cherche plus à tromper l’acheteur; c’est ce dernier qui aura le soin dans son salon de tromper ses amis, et de leur faire croire à un luxe qui dissimule souvent bien des misères, mais ne cache assurément pas le mauvais goût.

Ce n’est pas que nous voulions interdire à la foule ces petites