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longtemps appartenu aux états néerlandais. On s’étonne toujours que, contrairement au partage naturel que la géographie semble indiquer, ce lambeau détaché de la Flandre n’appartienne pas à la Belgique; mais l’histoire nous apprend que ce sont les flots de la mer qui ont conservé ce pays, essentiellement protestant, à la république protestante du XVIe siècle. Les cartes de la contrée faites à différentes époques nous racontent en traits saisissans les étranges vicissitudes de ce petit coin de terre, conquis d’abord sur la mer par six cents ans de travaux, tout à coup noyé en un jour d’exaltation patriotique, puis de nouveau reconquis par trois siècles d’efforts persévérans. Au moyen âge, la Flandre zélandaise n’existait pas encore; c’était un vaste golfe parsemé de quelques îlots, Cadsand, Biervliet, Axel et Hulst. Au commencement du XVIe siècle, ce golfe a disparu; il est comblé, semble-t-il, et de riches polders, entourés de digues, réunissent tous ces îlots entre eux. Les guerres de religion éclatent, la Hollande est acquise à la réforme; la Zélande, où le nouvel état est né dès que fut pris le fort de Brielle, devient un centre ardent de patriotisme et de foi. Persécutés dans les provinces du midi, les protestans fuient vers l’Escaut. Alors, pour arrêter les soldats de l’Espagne, on perce les digues, et on livre ces riches campagnes aux flots de l’Océan plutôt qu’aux bandes de Philippe II. Le grand poète national Cats, qui possédait de vastes propriétés dans cette partie du pays, a célébré en vers triomphans l’acte héroïque qui le ruinait, mais qui arrêta l’ennemi.

Depuis le XVIIe siècle, on a repris sur la mer, pas à pas, polder après polder, tout l’ancien territoire ; mais il est demeuré acquis à la Hollande et au protestantisme. Tout ce pays porte encore la vive empreinte du XVIe siècle : les costumes, les mœurs, les croyances, les idées, rien n’a changé. Les habitans de la campagne racontent les récits de la grande lutte contre l’Espagne comme si c’étaient des événemens d’hier; ils en relisent sans cesse les traditions dans des livres du temps. La physionomie des maisons, les trophées de leurs victoires sur les Espagnols, reliques du patriotisme soigneusement conservées dans leurs temples austères, dont elles forment l’unique ornement, les bornes même qui s’élèvent le long des routes, et qui portent encore les armes et le nom de leurs hautes puissances les états, tout nous transporte ici a deux siècles en arrière. Le fils d’un fermier que je visitai dans un endroit reculé du pays m’avoua que la première fois qu’il rencontra un prêtre catholique, son imagination, toute remplie de l’image des effroyables tortures subies par ses coreligionnaires et racontées dans les livres des martyrs, lui fit voir dans cet homme à la soutane noire un messager du duc d’Albe et de l’inquisition qui venait le saisir pour le brûler vif. Les populations