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Philine n’a pas d’aspirations sublimes ni de désirs élevés, elle n’a aucune prétention à nous faire rêver ou à nous inspirer l’enthousiasme : ce n’est qu’une coquette, qu’une espiègle ; mais elle est franchement, nettement ce qu’elle est, et cette sincérité de sa personnalité conquiert à la folle créature la sécurité à travers les périls de l’existence, et la sympathie, j’allais dire l’estime de tous ceux qu’elle rencontre. Voyez la comédienne Aurélie au contraire, la sœur du directeur Serlo. Certes c’est, à tout prendre, une créature plus noble que Philine, et peut-être croit-elle être dans son droit en regardant cette dernière de haut en bas et en la traitant avec un demi-mépris. Elle peut dire avec raison qu’elle est une intelligence, tandis que Philine appartient à l’ordre des simples esprits élémentaires, — qu’elle est une comédienne, tandis que Philine n’est qu’une actrice, — qu’elle a réellement aimé, tandis que Philine n’a jamais connu que la sensualité et le caprice, — qu’elle a senti la vie et en a été traversée de part en part, tandis que l’épidémie de Philine n’en a même pas été effleuré. Et pourtant combien son mépris est mal fondé ! Philine est poétique, Aurélie n’est tout au plus que romanesque. Est-il spectacle plus pénible que celui qu’elle présente avec ses passions désordonnées, ses violences, ses égaremens et sa phraséologie mélodramatique. La passion, au lieu de développer harmonieusement son être, y jette le désordre et le mutile, la rend antipathique et même répulsive, au lieu de la rendre sympathique. « Aurélie avait un grand défaut, dit le noble Lothaire, c’est qu’en aimant elle ne savait pas être aimable, » et ce mot dit tout. Elle a beau se démener, elle n’excite pas l’intérêt, et, après avoir péniblement ému l’imagination, elle ne lui laisse aucun souvenir. Son épisode tient une assez grande place dans le Wilheim Meister, et cependant combien y a-t-il de lecteurs qui se souviennent de ce personnage ? Malgré ses aspirations et ses fièvres, elle est reléguée dans la mémoire parmi la foule banale des Mélina, des Laertes et des Serlo. Ainsi, par ce double exemple de Philine et d’Aurélie, il nous est démontré qu’une prose sincère vaut mieux qu’une poésie incomplète.

Il est vraiment curieux de voir combien ce livre est pénétré de réalité et de vérité jusque dans ses plus petits détails. De quelque façon qu’on le commente, sur quelque épisode qu’on s’arrête, sur quelque sentence qu’on médite, on se trouve toujours en face de la même grande pensée, l’excellence du vrai. Il semble par exemple à beaucoup de personnes qu’il y ait une différence très."tranchée entre la première et la seconde partie de Wilheim Meister ; mais cette différence n’existe que dans la forme : les principes et le but restent les mêmes. Dans cette seconde partie, les tableaux sont plus calmes et plus doux, la société équivoque et suspecte des années