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dépêchés à l’akhunzada pour obtenir de lui qu’il se désistât de ses hostilités fanatiques, et on se prépara, si la négociation échouait, à s’emparer de deux maisons fortifiées qui s’élevaient dans le voisinage du camp, afin de pouvoir s’y retrancher au besoin. Les maliks revinrent tout confus. On n’avait pas même voulu écouter leurs remontrances. Le naïb alors, comme ressource suprême, offrit d’aller traiter en personne, et, sur le point de se mettre en route, s’agenouillant sur sa ceinture, qu’il venait d’ôter, sembla mettre sa vie et son ambassade sous la protection de Dieu et du prophète. Les cipayes de l’escorte, qui jamais ne l’avaient vu si dévot, riaient entre eux de ces démonstrations, qui n’étaient pourtant pas très rassurantes. Pendant son absence, qui dura plus d’une heure, une centaine d’Ali-Khails, postés sur une éminence voisine, ne cessaient d’invectiver les « kafirs, » les infidèles, dont chaque pas souillait leur territoire, et qu’ils maudissaient jusque dans leur génération la plus reculée. Quelquefois même ils semblaient prêts à s’élancer sur les cipayes, qui continuèrent heureusement à garder le sang-froid le plus impassible. Le retour du naïb mit fin à ces anxiétés; il avait obtenu victoire complète, disait-il, en faisant appel à « l’honneur afghan » (nang-i-puchtana), gravement compromis si les hôtes de l’émir venaient à être maltraités dans le pays, procédé dont l’émir serait en outre réduit à tirer la plus éclatante vengeance. Moitié scrupule et moitié crainte, l’akhunzada s’était laissé convaincre, et avait juré sur « les sept Korans » de livrer passage aux Feringhis sur ce sol sacré que souillait leur impure présence.

Toutes les difficultés se trouvant ainsi levées d’un seul coup, la mission reprit son voyage, non sans rencontrer encore çà et là plus d’un groupe évidemment hostile qui n’épargnait à ses membres ni les sourdes injures, ni les malédictions contenues, mais dont aucun ne se permit un acte positivement agressif. Bien mieux, dès que le camp fut dressé, dans l’après-midi de la même journée, plusieurs des maliks ennemis se présentèrent devant le major Lumsden, s’excusant de leur mieux, et sollicitant de lui un razi-nama ou « certificat de satisfaction » qui leur fut, à leur grand chagrin, refusé net.

Le plus curieux de l’affaire, c’est qu’au fond de toute cette agitation était la main même de l’astucieux naïb. Pour se faire valoir aux yeux de l’envoyé britannique et rehausser l’importance des services que la mission lui devait, il avait lui-même soufflé aux maliks des deux tribus jajis les démonstrations menaçantes qui s’étaient produites, en leur recommandant expressément de ne pas aller plus loin. A un moment donné cependant, l’excitation populaire avait failli déjouer ce calcul habile, et l’autorité des maliks était en grand danger d’être méconnue. C’est alors que le naïb avait eu