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se hâter d’en conclure que les Audam et les Doorkhaunee se rencontrent fréquemment parmi les klephtes farouches de l’Afghanistan. M. Bellew ne nous laisse là-dessus aucune illusion : il parle bien de l’extrême méfiance qui est à l’ordre du jour parmi les maris de Kandahar, et cite l’ignominieux supplice qu’il vit infliger à une femme adultère, promenée par toute la ville à califourchon sur un âne monté à rebours, la tête rasée, le visage couvert d’un mélange de suie et d’huile, pauvre pécheresse que la canaille poursuivait des injures les plus immondes; mais il ajoute que, malgré un si rude châtiment (qui est lui-même une atténuation de la peine de mort, légalement infligée à ce genre de crime) et nonobstant toutes les précautions que peut inspirer la jalousie la plus raffinée, les maris afghans ne sont pas beaucoup mieux préservés que d’autres de cette infortune qui leur donne tant de souci. Négligées par ces débauchés oisifs, qui volontiers passent leur temps soit dans quelque sale orgie, soit à bavarder dans quelque hujra ou quelque masjid[1], n’ayant pas même idée de ce que nous appelons « devoir moral, » favorisées dans le secret de leurs liaisons coupables par ce vêtement spécial qu’elles portent au dehors, la burka, sous les plis duquel on ne distingue ni la personne ni même le sexe, elles peuvent ainsi introduire dans le harem, à titre d’amie, le complice de leurs désordres, et se vengent fréquemment des infidélités de tout genre que leurs époux se permettent sans le moindre scrupule. Nous nous interdirons de soulever ici le voile que M. Bellew tire brusquement sur des infamies que sa clairvoyance médicale lui a révélées, et dont M. Elphinstone ne paraît pas s’être douté. Il nous suffira de dire que les Afghans poussent plus loin qu’aucun autre peuple d’Orient le « vice oriental » par excellence : il se retrouve dans les âpres montagnes de l’Hindou-Koush comme il existait, assure-t-on, sur les rochers escarpés de la Laconie, mêlé, on ne sait comment, dans l’un et l’autre cas à une surabondance de virilité farouche, indomptable et hautaine.

Le lecteur consciencieux qui, pour éclaircir les doutes résultant de témoignages si contradictoires, voudrait recourir aux souvenirs de M. John Campbell (autrement dit Feringhee-Bacha) pourrait se trouver fort embarrasse. Par inadvertance ou par scrupule, le jeune Anglais « perdu parmi les Afghans » ne parle pas une seule fois des pièges que les filles d’Eve ont pu tendre à sa vagabonde inexpérience.

  1. La hujra est une sorte de club, une hutte possédée en commun par tous les habitans d’un village ou d’un quartier urbain. On y fume, on y cause, on y apprend les nouvelles par les voyageurs de passage, qui trouvent là, pour vingt-quatre heures, un abri et des alimens gratuits. — Le masjid, nous l’avons déjà dit, c’est la mosquée où l’on se rencontre pour causer, mais où la pipe et les goinfreries sont interdites.