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Peut-être aussi faut-il s’en prendre au rédacteur-interprète de cette étrange biographie, surtout s’il appartient à la secte austère des quakers, ainsi que son nom semble l’indiquer[1]. Quoi qu’il en soit, les confessions de l’aventurier anglo-afghan ne nous le montrent guère qu’occupé de ruses juvéniles, qui ont presque toujours pour objet de lui procurer l’argent nécessaire à ses plaisirs ou à ses desseins. Ses aveux, sous ce rapport, sont d’une naïveté peu édifiante, qui n’est accompagnée, ce semble, d’aucun remords et même d’aucun embarras. Il est vrai que l’exemple de ces fraudes intéressées lui fut donné de bonne heure, et en premier lieu par le maître chargé de l’instruire. Ce mentor modèle était d’une sévérité outrée pour ses malheureux écoliers, jusqu’au moment où il avait obtenu qu’ils payassent à beaux deniers comptans son indulgence mercenaire. Il cessait alors de les battre et les dispensait volontiers de tout travail. Pour satisfaire à ses exigences avides et toujours renaissantes, ses victimes avaient recours au vol domestique, et John Campbell en particulier dévalisait sa mère adoptive au profit de ce cruel professeur. Plus tard il voulut s’évader pour aller, dit-il, à la recherche de ses compatriotes; mais, au lieu de se rendre directement à son but, il fit longtemps, trop longtemps, l’école buissonnière, vivant d’expédiens, et aussi souvent trompeur que trompé. Ainsi qu’on l’a dit plus haut, ses caravanes picaresques (elles rappellent beaucoup celles de Lazarille de Tormes) manquent fréquemment de vraisemblance, plus fréquemment d’intérêt. Presque toujours errant, ne poursuivant d’autre but que celui de vivre d’industrie, bravant, il est vrai, tous les dangers, mais les bravant un peu à l’aveugle et avec un courage de pur instinct, domestique ici, sorcier là, derviche apprenti, associé à des bandits de grande route, maquignon nomade, finalement, comme soldat, tantôt au service du khan d’Hérat, tantôt à celui du chah de Perse, et même, un beau jour, enrôlé au service du tsar, c’est là un bohème d’espèce étrange, un narrateur tant soit peu suspect. On se demande comment il a pu entasser tant de professions diverses entre l’année 1840, date qu’il assigne à sa naissance, et l’année 1857, où il débarquait à Bombay. Et la question n’est pas en voie de s’éclaircir, la confiance n’est pas près de renaître quand on lit, entre autres détails donnés sur lui, les lignes suivantes : « A mesure que nos relations

  1. Hubert Oswald Fry. Mistress Fry est une des célébrités de la secte des amis. Tous les philanthropes connaissent les persévérans efforts qu’elle consacrait, il y a une quarantaine d’années, à la réforme des prisons. Voyez la Revue d’Edimbourg de septembre 1818, vol. 30, pages 480 et suivantes. M. Hubert Oswald Fry est le fils, non de la célèbre mistress Fry, mais de l’institutrice de même nom, chez laquelle était placé John Campbell.