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devenaient plus intimes, je m’intéressais davantage à cet hôte étranger. Il montrait beaucoup de respect pour les idées religieuses, sous quelque forme que le culte fût offert à la Divinité; mais ses idées sur la vérité me paraissaient décidément empruntées aux jésuites. Il tenait pour très justifiable le mensonge dont le but est légitime, théorie soutenue par Mme de Genlis et autres écrivains français... »

... On ne s’attendait guère
A voir Genlis en cette affaire.

Mais il est difficile de se refuser à cette idée que John Campbell, pour rendre son odyssée individuelle plus intéressante, l’a surchargée de détails fournis par son imagination féconde. Supposons-le né avec le génie du romancier, on aurait eu un véritable Gil Blas afghan que rien n’eût empêché d’être un chef-d’œuvre. Tel que celui-ci nous est offert, on pourrait tout au plus s’en servir comme d’un cadre à remplir, en lui empruntant ce qu’il renferme de détails historiques et géographiques susceptibles d’être contrôlés de près.

Le jugement définitif de M. Bellew sur le peuple afghan, sans être à beaucoup près aussi favorable que celui de M. Elphinstone, s’en rapproche sur un point essentiel. Après avoir décrit la tyrannie de l’émir et des sardars dans tout ce qu’elle a de plus abusif et la soumission fataliste des sujets opprimés à l’abominable arbitraire dont ils sont les victimes passives, l’écrivain ajoute ces réflexions curieuses :


« Le tableau que je viens de tracer n’a rien d’exagéré. Véritablement, n’était leur patriotisme, leur sauvage indépendance, leur orgueil comme peuple, rien ne maintiendrait l’existence des Afghans en corps de nation. Ils le savent, ils s’en lamentent, et tirent néanmoins vanité de cette liberté anarchique, prétendant que, s’ils étaient plus solidement constitués, plus unis et plus dociles, ils feraient aisément la conquête du monde. Un observateur superficiel serait amené à penser que n’importe quelle puissance étrangère, pénétrant dans ce pays et prenant les rênes du pouvoir, verrait son avènement salué par les masses populaires, si celles-ci se sentaient gouvernées avec sévérité, mais avec justice, et d’après des principes sagement libéraux. Et pourtant, selon toute probabilité, c’est le contraire qui arriverait. L’Afghan répugne à tout ce qui le gêne, et préfère souffrir le dommage qui lui est infligé par une force supérieure à la sienne, pourvu qu’il conserve l’espoir de se trouver quelque jour en état de dominer à son tour et d’écraser un plus faible que lui. Il aime mieux se laisser opprimer et se promettre une revanche que se soumettre à un code quelconque dont l’exacte rigueur lui ôterait cette consolante espérance. »


Si nous tenons ces vues pour absolument exactes et cette interprétation peu indulgente pour tout à fait juste, de si étranges propensions