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une figure si ressemblante que le coupable était reconnu avant que le dessin fût achevé. Ptolémée, subitement radouci, combla Apelle de présens, et l’artiste, en souvenir du danger auquel il avait échappé, peignit son fameux tableau de la Calomnie.

Apelle dut aussi résider quelque temps à Smyrne, où il peignit dans l’Odéon une Grâce et la Fortune assise. « Je l’ai faite assise, disait-il, parce que rien n’est moins stable que la fortune. » Ce fut la dernière halte de sa vie errante. Il avait vendu aux habitans de l’île sa Vénus Anadyomène, qu’ils avaient placée dans le temple d’Esculape. Sur la fin de ses jours, tourmenté d’un désir de perfection qui est l’aiguillon des grands artistes, Apelle voulut lutter avec lui-même et surpasser son œuvre la plus vantée, il s’établit à Cos pour refaire une Vénus plus belle encore. La mort le surprit avant que son tableau fût achevé. En vain les habitans de Cos cherchèrent un peintre pour finir ce qu’Apelle avait commencé; aucun n’osa se mesurer avec un rival aussi redoutable, ni toucher à une ébauche qu’on regardait déjà comme sacrée : c’était le plus éclatant hommage qu’on pût rendre à sa mémoire.


II

La gloire d’Apelle est une des plus brillantes qu’ait consacrées l’histoire. Les modernes l’ont accrue encore, et le nom d’Apelle est dans toutes les bouches dès que l’on veut citer un peintre ancien. On peut dire qu’il est aussi populaire que célèbre, et l’on entrevoit les causes de cette faveur posthume. Sa vie unie à la vie d’Alexandre, les récits de Plutarque si goûtés de la renaissance et des siècles qui ont suivi, les anecdotes piquantes ou aimables que les auteurs grecs ou latins ont recueillies et que nous apprenons sur les bancs du collège, cet instinct non avoué qui nous fait préférer ce qui est parfait et charmant à ce qui est grand et austère, tout a contribué à étendre jusqu’à la postérité le prestige qu’Apelle exerçait sur ses contemporains. Sans contester une gloire aussi solidement établie, je voudrais du moins essayer de saisir quelques traits de la physionomie de l’artiste, quelques caractères distinctifs de son talent. En rapprochant les témoignages épars des écrivains anciens, je m’efforcerai de faire reparaître l’impression que produisaient des œuvres qui ne peuvent, hélas! revivre. Les jugemens des Grecs sont si brefs, leurs descriptions si incomplètes, qu’il conviendra d’hésiter souvent; mais nous ferons ce que fait le voyageur devant les fresques effacées des vieux maîtres : par une contemplation patiente et respectueuse, il retrouve d’abord un contour, puis une figure, puis un fragment de la composition ; s’il voit peu, ce qu’il voit est vrai et ne lui donne que plus de jouissances!