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Il faut pour admirer beaucoup de tolérance; il faut faire bon marché de la vérité historique, de la vraisemblance morale, de la dignité du style.

Mais, si vos regards se portent sur une Vierge mourante entourée des apôtres, puis sur ces quatre apôtres partagés en deux cadres, enfin sur le portrait qu’il a fait de lui-même, ce n’est pas seulement un progrès, c’est un changement. On dirait qu’il a découvert le beau. Qu’est-il donc arrivé? Errant et curieux, l’esprit et les yeux ouverts, le Teuton Albrecht est allé en Italie. Sa manière aussitôt, surtout son sentiment de l’art, ont grandi. Son portrait, du genre le plus sérieux et le plus noble, semble travaillé dans le goût de Léonard de Vinci ; ses apôtres pourraient avoir été peints à Bologne ou même à Rome. Le caractère des têtes, la largeur des draperies, le procédé général, qui n’a plus rien de local et de minutieux, tout indique que le peintre a reçu comme une révélation nouvelle. Il est au-dessus de son pays, il. est au-dessus de lui-même. Peut-être aussi est-il moins lui-même, car, en s’approchant du grand beau, l’originalité s’efface. Ce n’est plus l’Albert Dürer auquel nous nous étions attendu. Ailleurs qu’en Italie, l’art n’était guère que l’expression visible de l’esprit du moyen âge. Or l’esprit du moyen âge est étroit et timide : ni la pénétration, ni l’activité, ni l’énergie, ne lui ont été refusées ; mais la hardiesse lui manque, la hardiesse et la confiance en lui-même, tout ce qui cherche, tout ce qui conquiert, tout ce qui assure la liberté. Seule, la renaissance, qui est née en Italie, a émancipé l’art comme tout le reste. Dans les communes de Flandre, dans ces cités allemandes, surtout dans ces villes impériales, qui leur ressemblaient pour le mouvement, la richesse et une indépendance relative, l’esprit du moyen âge acquérait, déployait ce besoin, cet instinct de franchise locale et limitée qui a si longtemps paru à nos pères le maximum de la liberté permise à notre race. Dans l’ordre intellectuel se développait une disposition analogue; une inspiration contrainte y devait créer un art attentif, soigneux, laborieux, ingénieux même, qui reproduisit avec exactitude la réalité, qui en conserva l’expression, qui lui prêta même tous les ornemens qui dépendent du travail et de la richesse. C’était un art bourgeois comme le milieu où il a pris naissance. Ce style, cette manière de concevoir la représentation des choses, se seraient maintenus sans altération, si les écoles restaient absolument étrangères les unes aux autres. L’imitation, dont on se plaint comme d’un fléau pour le talent, est un moyen de perfectionnement ; elle recueille les fruits du travail des générations et des nations diverses; elle fait que le génie d’un lieu ou d’une époque profite à tous les temps et à l’univers, Albert Dürer en est un grand exemple ; mais