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pas davantage à la souveraineté du peuple; je ne crois pas qu’un peuple ait le droit de changer de gouvernement quand il lui plaît, comme il lui plaît, uniquement parce que cela lui plaît ; je ne reconnais pas à la majorité plus un d’une nation le droit de se passer ses fantaisies en fait de gouvernement, et le régime du bon plaisir ne me paraît ni moins insolent ni moins abject sur la place publique que dans le palais des rois. »

L’autre question était plus délicate encore. Une loi rendue dans les premières années de la restauration avait déclaré jour de deuil pour la France l’anniversaire du 21 janvier et prescrit de célébrer tous les ans, à pareil jour, dans tout le royaume, un service funèbre pour le repos de l’âme de Louis XVI. Le parti révolutionnaire demandait impérieusement l’abrogation; la chambre des députés l’avait votée ; la chambre des pairs, appelée à prendre parti, hésitait. Le cabinet intimidé gardait le silence. Considérée en elle-même, la loi de la restauration était une faute, car il ne doit pas appartenir à la loi de perpétuer les haines; mais dans les circonstances où l’on se trouvait, on ne pouvait l’abroger sans accepter une sorte de solidarité avec l’acte du 21 janvier. M. de Broglie repoussa, pour la révolution de juillet, jusqu’à la moindre apparence d’une pareille complicité, et la chambre des pairs, s’associant à ces nobles sentimens, refusa l’abrogation; la loi ne fut abrogée que plusieurs années après, avec un amendement qui ôtait au vote tout caractère équivoque.

Ces deux discours montrent l’attitude nouvelle que M. le duc de Broglie avait prise. Défenseur des libertés publiques sous la restauration, parce que le danger venait alors du gouvernement, il allait être, pendant tout le cours du nouveau règne, le défenseur de l’ordre public menacé par les théories révolutionnaires : rôle pénible et périlleux, qui l’a fait quelquefois accuser de contradiction et qui le montre au contraire immobile et inébranlable au milieu de nos agitations. Tel il fut alors, tel il est encore; toujours battu par les vents opposés, mais toujours débout, refusant de plier quand tout le monde plie, refusant d’abuser quand tout le monde abuse, passant avec indifférence de la retraite au pouvoir et du pouvoir à la retraite, et toujours fidèle à lui-même, à ses convictions, à ses principes : qualis ab incepto.

Après la mort de Casimir Perler, le cabinet qu’il avait présidé continua à lutter vaillamment contre les difficultés du dedans et du dehors; mais les hommes qui le composaient n’avaient pas assez d’ascendant personnel pour suppléer longtemps au chef qu’ils avaient perdu; le roi sentit la nécessité de constituer un ministère plus fort. Au commencement d’octobre 1832, il chargea le maréchal