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un ami du comte de Narbal. La musique, que Mme de Narbal aimait avec passion, une grande admiration pour l’Italie et particulièrement pour Venise, la patrie de sa grand’mère, des goûts de littérature et une certaine analogie d’esprit et de sentiment furent les premiers points de contact entre le chevalier et Mme de Narbal.

Elle avait alors à peu près trente-cinq ans. Grande, un peu maigre, et d’une gaucherie enfantine qui n’était pas dépourvue de grâce, Mme de Narbal avait une physionomie vive dont l’expression complexe était saisissante. Ses yeux noirs, doux et profonds, indiquaient une âme affectueuse et ardente que le bonheur domestiqué n’avait pas complètement satisfaite. Il s’en échappait comme un rayon de poésie qui n’avait pas rencontré un objet digne de le fixer. Des lèvres fines sur lesquelles s’épanouissait volontiers un sourire charmant, un teint chaud et bistré qui trahissait un sang méridional, des cheveux d’un noir bleuâtre, une tête noble et fière, tout cela formait un ensemble plus intéressant que la beauté. Mme de Narbal avait beaucoup d’enjouement dans l’esprit et se plaisait dans les causeries familières. Les grands éclats de la passion, les peintures énergiques de la littérature moderne, répugnaient à sa nature discrète et sobre. Elle avait pourtant une imagination d’un tour assez romanesque ; mais elle préférait les détails de la vie intime, les complications qui résultent du jeu des sentimens délicats, contenus par le devoir et les mœurs de la société, aux tempêtes que soulèvent les organisations supérieures et les instincts indisciplinés. Mme de Narbal avait beaucoup lu, et son éducation s’était faite par les livres et la pratique de la vie plus que par une méthode régulière, à laquelle, je crois, on ne l’avait jamais assujettie. Lorsqu’après la mort de son mari Mme de Narbal entreprit de diriger elle-même l’instruction de sa fille et des deux nièces qu’elle lui avait données pour compagnes, elle se mit bravement de la partie et devint la plus humble et la plus zélée des écolières. C’est ainsi que Mme de Narbal contracta un véritable goût pour l’enseignement. Elle recherchait aussi volontiers les occasions d’apprendre ce qu’elle ignorait qu’elle était empressée de communiquer aux autres les connaissances qu’elle avait acquises. Tout cela se faisait avec un naturel charmant, sans le moindre pédantisme, défaut qui était le plus antipathique à cette nature droite, dont rien n’égalait la sincérité. Cette dernière qualité était rehaussée chez Mme de Narbal par une discrétion profonde, don rare même chez les hommes, et qu’elle possédait à un très haut degré. Il était difficile de lui arracher un mot sur une chose qu’elle croyait devoir ensevelir dans le silence, et il y a tel événement douloureux de sa vie dont elle n’a jamais entretenu le chevalier. Lorsque Mme de Narbal était assise à la fenêtre