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création ; aussi le propriétaire de ces abeilles se gardait-il bien de leur prendre le fruit de leur travail. Son principe est que celle qui fait le miel doit aussi le manger. Beaucoup d’autres habitans de la Cornouaille n’y mettent point tant de scrupules, et j’ai vu d’humbles cottages tirer un profit assez considérable de la culture de ces mouches industrieuses. La douceur des hivers attire aussi dans ce comté quantité d’oiseaux qui ajoutent soit aux plaisirs de la table, soit à la vie du paysage. Parmi ces derniers, il en est un curieux, tout à fait particulier à la Cornouaille, et que les habitans appellent chough. C’est un oiseau noir qui appartient très certainement à la famille des choucas, avec cette singularité qu’il a le bec et les pattes rouges. À l’état sauvage, il habite les rochers solitaires et inaccessibles ; mais comme il a le malheur d’être très recherché par les ornithologistes, les enfans de la campagne lui font tous une guerre acharnée et grimpent au printemps sur le bord des précipices les plus affreux pour dénicher sa couvée. Le chough, malgré son caractère ombrageux et la nature farouche des lieux qu’il fréquente à l’état libre, s’apprivoise très aisément : j’en ai vu un dans une maison du pays, et il semblait complètement réconcilié avec ses nouveaux hôtes. Cet oiseau pourchassé devient de plus en plus rare ; il est même à craindre qu’il ne disparaisse avec le temps. Une pauvre famille, ayant réussi à s’emparer d’une jeune paire de choughs, le frère et la sœur, les envoya dernièrement au prince de Galles, qui reconnut cet hommage par un cadeau de 5 liv. sterl. Il ne faut pas perdre de vue que le prince de Galles est en même temps duc de Cornouaille.

Je visitai à Lostwithiel les bureaux du duché[1]. Le nom de cette ville est une contraction de lost within the hills, perdue entre les collines, et c’est bien le nom qui lui convient, car elle est assise au bord de la rivière Fowey et dans un creux dominé tout à l’entour par des hauteurs verdoyantes. On y arrive en traversant un vieux pont d’une construction bizarre et surmonté d’un parapet en zigzags. Les bureaux du duché de Cornouaille sont dans un ancien château, dont une partie avait été pendant un temps convertie en prison, et qui présente encore jusque dans sa vieillesse une assez noble apparence avec ses hautes fenêtres et ses portes ogivales. Je vis là de grandes cartes dessinées avec un soin minutieux et indiquant par la différence des couleurs ce qui dans le comté appartient au duché et ce qui ne lui appartient point. La part de ce dernier

  1. L’administration centrale est à Londres. À la tête de la partie qui concerne les mines se trouve placé M. Warington Smyth, professeur au musée de géologie pratique, practical geology Muséum. C’est à lui que je dois d’avoir pu étudier la Cornouaille dans certains détails qui ne sont guère accessibles aux étrangers.