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que la nation avait pu, sans abjurer ses espérances, se dérober par certaines inconséquences dans la conduite aux périls que semblait lui préparer une logique inflexible. Chaque fois qu’il est arrivé au pays de demander à un pouvoir énergique un abri momentané contre l’anarchie, soit qu’il en eût subi ou qu’il en redoutât l’étreinte, on a transformé ces concessions passagères, inspirées par le soin de ses intérêts ou par le souci de son repos, en désaveu solennel de ses principes. En signalant ces défaillances, les dévots de la démocratie ont pris d’ailleurs grand soin de les imputer toujours à l’égoïsme des classes élevées. Ces fiers prophètes écrivaient encore en 1851 que, si la bourgeoisie corrompue par l’éducation, la fortune et le monopole électoral, était en France capable de tout, on n’y verrait jamais les masses, inspirées par une sorte d’instinct divin, s’incliner sous le despotisme pour voiler, ne fût-ce qu’un jour, la statue de la liberté !

J’ignore si l’on persiste dans ses admirations et dans ses haines. Quoi qu’il en soit, il appartient aux hommes demeurés étrangers aux unes comme aux autres de rétablir sur l’esprit de la révolution française et sur la permanence de ses aspirations politiques la vérité, défigurée par l’esprit de secte. Si l’on porte quelque liberté d’esprit dans l’appréciation des faits innombrables écoulés depuis les élections pour les états-généraux en 1789 jusqu’aux récentes élections de 1863, on se convaincra que nos pères n’avaient pas, sur les questions constitutionnelles aujourd’hui controversées, un avis fort différent du nôtre, et que les vœux sont restés les mêmes dans des conditions et sous des formules très différentes. La France a manqué de courage plutôt que de persévérance dans ses opinions; elle a moins changé d’avis que d’attitude, et lorsqu’on néglige les apparences pour aborder le fond des choses, on arrive bien vite à se convaincre que ce pays s’est donné plus de mouvement qu’il n’a parcouru de chemin. Rechercher ce qu’il a toujours souhaité est peut-être la voie la plus sûre pour pénétrer ce qu’il souhaite encore. Il y a sur ce point-là, dans l’histoire de nos soixante-dix dernières années, une tradition dont la puissance serait irrésistible, si elle était mieux connue. Ne permettons pas qu’on la méconnaisse, ne souffrons pas surtout qu’on la divise. Quod semper, quod ubique, quod ab omnibus : il faudrait appliquer cette règle-là en matière de liberté comme en matière de témoignage. Rappelons donc ce que voulaient et ce que demandaient nos pères, afin de nous confirmer nous-mêmes dans la conscience de notre droit, et voyons si les faits aujourd’hui accomplis sont incompatibles avec les vœux consacrés par l’autorité de trois générations.