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monde moral[1]. » Aucune réalité, je le répète encore une fois, ne peut être atteinte par le raisonnement. Les mathématiques, dont la méthode avait séduit les anciens aussi bien que Descartes, sont ici hors de cause ; elles ne contiennent, tous les géomètres sont aujourd’hui d’accord sur ce point, d’autre réalité que celle que l’on y a mise à l’avance sous forme d’axiome ou d’hypothèse, et cette réalité traverse le jeu des symboles sans cesser de demeurer identique à elle-même. Au contraire, pour passer d’un fait réel à un autre fait réel, il faut toujours recourir à l’observation.

La métaphysique cependant n’est pas un simple jeu de l’esprit humain ; elle renferme un certain ordre de réalités, mais qui n’ont pas d’existence démontrable en dehors du sujet. La véritable signification de cette science a été clairement établie par Kant dans sa Critique de la Raison pure. Elle étudie les conditions logiques de la connaissance, les catégories de l’esprit humain, les moules suivant lesquels il est obligé de concevoir les choses. Par là, la métaphysique aussi peut être regardée comme une science positive, assise sur la base solide de l’observation. Hâtons-nous d’ajouter cependant que ces moules, envisagés indépendamment de toute autre réalité, sont vides, aussi bien que ceux des mathématiques, qui d’ailleurs dérivent des mêmes notions, quoique dans un ordre plus restreint.

Non-seulement la critique directe de la raison prouve qu’il en est ainsi, mais on arrive au même résultat par l’examen des systèmes qui se sont succédé dans l’histoire de la philosophie. Tout système métaphysique, quelles que soient ses prétentions, n’a de portée que dans l’ordre logique ; dans l’ordre réel, il ne fait autre chose qu’exprimer plus ou moins parfaitement l’état de la science de son temps ; c’est une nécessité à laquelle personne n’a jamais échappé.

Examinons en effet quelques-unes des conceptions que nous avons indiquées tout à l’heure. Les systèmes de l’école ionienne répondent à un premier coup d’œil jeté sur la nature. La notion des lois du monde physique commence à apparaître à Anaxagore, comme en témoignent ces explications qui scandalisaient si fort Platon. L’école de Pythagore transporte dans ses théories générales les découvertes merveilleuses qu’elle vient de faire en géométrie, en astronomie, en acoustique. Platon lui-même, lorsqu’il nous explique à priori, par la bouche de Timée, le plan suivi par Dieu dans l’ordonnance du monde, expose une astronomie, une physique et une physiologie qui répondent précisément à l’état fort imparfait des connaissances de l’époque où il vivait. Dans l’ordre social, sa République nous repré-

  1. Lettres à M. Villemain, par M. E. Chevreul, sur la Méthode en général, p. 30, 1856.