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sente une construction imaginaire, dont la plupart des matériaux sont empruntés à des données contemporaines. Cette notion de la beauté, qui donne tant de charme et d’éclat aux écrits du philosophe grec, est la même que celle des artistes de son temps. En face du merveilleux développement de l’art grec, la théorie du beau s’élève, théorie à priori et absolue en apparence, en réalité conçue à l’aide de données extérieures présentes sous les yeux du philosophe.

Descartes, pour arriver à la réforme de la philosophie, n’échappe pas à la loi commune. Il termine le Discours sur la Méthode en annonçant qu’il a exposé les lois de la nature « sans appuyer ses raisons sur aucun autre principe que sur les perfections infinies de Dieu, » d’où il pense déduire les propriétés de la lumière, le système des astres, la distribution de l’air et de l’eau à la surface de la terre, la formation des montagnes, des rivières, des métaux, des plantes, et jusqu’à la structure de l’homme. — Mais le raisonnement fondé sur les attributs de Dieu le conduira-t-il à quelque découverte nouvelle ? Nullement ; les résultats sont tout simplement conformes aux connaissances positives que l’on avait acquises par l’expérience au milieu du xviie siècle. Descartes supprima son livre à cause de la condamnation de Galilée, dont il partageait les opinions sur le système du monde. S’il avait vécu cinquante ans plus tôt, nous n’aurions pas éprouvé cette perte. Descartes, resté fidèle aux opinions astronomiques du xvie siècle, eût été orthodoxe : il aurait démontré à priori que le soleil tourne autour de la terre.

Hegel enfin, pour terminer par un contemporain, n’échappe pas à la nécessité commune de la métaphysique : l’univers, qu’il croit avoir construit uniquement à l’aide de la logique transcendante, se trouve conforme de point en point aux connaissances à posteriori. C’est ainsi qu’il dresse à priori toute la philosophie de l’histoire de son temps, non sans en grossir les derniers événemens par un effet d’optique naturel à un contemporain. S’il fallait pénétrer plus avant dans son système, je pourrais montrer comment la vue profonde qui fait tout reposer sur le passage perpétuel de l’être au phénomène et du phénomène à l’être est sortie des progrès mêmes des sciences expérimentales. Il suffit pour le concevoir de jeter un coup d’œil sur le développement des connaissances scientifiques relatives au feu et à la lumière. À l’origine, le feu était regardé comme un élément, comme un être, à un titre aussi complet, aussi absolu que n’importe quel autre. Aujourd’hui ce n’est plus qu’un phénomène, un mouvement spécial des particules matérielles. Il y a plus : après avoir établi une distinction entre la flamme et les particules enflammées, on a voulu pendant quelque temps donner à la première pour support un fluide particulier, le calorique, dont la combinaison avec