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une toile en guise de pont ; mais contre la mer furieuse c’était là un bien faible obstacle, et chaque lame qui passait sur la tête des marins remplissait à demi la frêle embarcation. Parfois un seul coup de vague faisait sombrer le bateau en pleine mer. Pendant l’hiver de 1835 à 1836, une flottille de six chaloupes, portant soixante-dix-huit pêcheurs de La Teste, fut engloutie en un seul jour. Les débris des bateaux et les cadavres furent roulés par les flots le long de la plage des landes du Médoc, et plusieurs semaines après le désastre on découvrait encore çà et là des lambeaux de chair humaine à demi mangés par les crabes.

Depuis cet événement terrible, qui fit des centaines d’orphelins à La Teste, quelques armateurs firent construire pour la pêche des embarcations insubmersibles ; mais ils eurent à lutter contre l’opposition des marins eux-mêmes, qui ne voulaient pas monter sur ces bateaux dans la crainte puérile qu’on ne les accusât de lâcheté. Cependant on a graduellement remplacé toutes les anciennes barques par des bateaux pontés, et le matériel de pêche a été modifié. Les chaloupes surprises par la tempête peuvent du moins tenir la mer sans courir le risque de sombrer sous le poids des vagues et ne sont en danger imminent de perdition que dans le voisinage des côtes. Au lieu des filets lourds et coûteux qu’on employait autrefois, on se sert du chalut, espèce de sac qui traîne sur le fond de la mer derrière le navire, et dans lequel les poissons, gros et petits, viennent se prendre d’eux-mêmes. Un équipage de trois hommes suffit à la manœuvre, tandis que treize matelots étaient jadis nécessaires pour le même travail.

Si l’existence des pêcheurs du bassin est moins dangereuse que celle des marins de la péougue, elle n’est guère moins fatigante et moins rude pendant les mauvais temps. À chaque bourrasque, l’eau du bassin se hérisse en lames courtes et pointues qui secouent et disloquent les embarcations ; les vents, masqués par les dunes et les promontoires, changent encore plus brusquement qu’en pleine mer ; les bancs de sable, cachés sous la surface de l’eau, obligent les rameurs à faire de continuels détours. Et puis le flux et le reflux n’attendent pas ; il faut être prêt en même temps qu’eux pour se faire porter aux pêcheries par la force du courant et ne perdre aucun des momens favorables à la prise du poisson. Ceux qui veulent recueillir des coquillages sur les crassats ne sont pas moins pressés. Ils arrivent à l’instant précis où le banc de vase commence d’émerger, puis ils descendent sur l’îlot sans cesse agrandi et s’attachent aux pieds des patins ou planchettes de forme carrée, qui les soutiennent sur la vase molle ; ils suivent lentement, et courbés en deux, le flot, qui se retire par degrés. Au changement de marée,