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cette forêt, qui fut jadis l’une des plus belles de la France, est encore grevée d’usages qui rappellent les mauvais temps de la féodalité, et rendent complètement impossible tout essai de sylviculture rationnelle.

La forêt ou montagne de La Teste couvre une superficie de 3,854 hectares en dunes et en lettes. Elle appartient à un certain nombre de particuliers dont les droits sont parfaitement distincts, et cependant elle est ouverte comme une lande publique à la libre entrée de tous les habitans et au libre parcours du bétail. En vertu d’anciens titres, les citoyens des communes de La Teste et de Gujan peuvent s’approvisionner dans toute l’étendue de la forêt du bois de chauffage et de construction nécessaire à leurs besoins. Contre les droits des propriétaires, ils invoquent leurs droits immémoriaux d’usagers ; ils sont eux-mêmes possesseurs par la jouissance. La conséquence de cet état de choses est facile à deviner : le conflit des intérêts et des droits inconciliables empêche la propriété de se constituer, et la forêt, qui n’est plus indivise et qui n’est pas encore partagée, reste livrée à une exploitation barbare. Le bétail piétine le sol, casse les branches et broute les jeunes arbres ; les usagers abattent les billes qui leur conviennent, et laissent de côté le bois mort ainsi que les troncs difficiles à couper. De leur côté, les possesseurs titulaires ne prennent aucun soin d’aménager leur portion d’une forêt qu’ils voient livrée au pillage, et n’exploitent pas avec plus de discernement que les usagers. Dans toute la montagne de La Teste, il n’existe déjà plus de bois de chêne pouvant servir à la construction ; on ne rencontre que de vieux troncs contournés ou de jeunes tiges utiles seulement pour servir de pieux. Tandis que, dans une forêt de pins bien aménagée, le nombre des grands arbres exploités en résine est de 150 par hectare, on n’en compte que 50 sur le même espace dans la forêt de La Teste, et même il n’en reste plus que 10 dans certaines lisières de bois particulièrement exposées aux déprédations de toute nature. Le revenu total, qui devrait dépasser un demi-million, atteint à peine 160,000 francs, et doit nécessairement diminuer chaque année, puisque la consommation annuelle dépasse la production, et que la foule des usagers, qui est de sept mille aujourd’hui, s’accroît incessamment avec la population des communes intéressées. Dans la forêt de La Teste, la propriété, telle qu’elle existe, n’est que le droit d’abuser.

Il est urgent de remédier à cet état de choses, déplorable pour les intérêts matériels et bien plus fâcheux encore pour les intérêts moraux, car les discussions sans cesse renouvelées finissent par engendrer les haines ; à force de revendiquer leurs droits opposés, les ayant-pins et les non-ayant-pins en arrivent à se détester cordialement.