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loin encore, la vaste courbe que décrit le chenal apparaît comme une étroite bande verdâtre séparée de la haute mer par une troisième rangée de vagues blanchissantes. L’ensemble de ces nappes d’eau tranquilles alternant avec les zones agitées des brisans produit l’effet d’un labyrinthe, et l’on se demande à première vue comment les navires peuvent s’y risquer sans courir à une perte certaine. Lorsque la mer est bouleversée par des vents de tempête soufflant de l’ouest ou du sud-ouest, la houle du large ne brise pas seulement sur les bancs de sable, elle déroule aussi ses crêtes écumeuses sur toute l’étendue de l’espace triangulaire compris entre le cap Ferret et la pointe du Sud. Des vagues de 6 à 8 mètres de hauteur bondissent par-dessus la barre et se poursuivent à travers les bancs et les chenaux jusqu’au rivage du continent ; les bouées énormes ancrées à côté de la passe disparaissent parfois sous des masses tourbillonnantes d’eau et d’écume. Alors les chaloupes de pêche ou les chasse-marée de cabotage qui se trouvent au large de la barre doivent rester prudemment en dehors sous peine d’être portés sur les bancs et défoncés par les vagues chargées de sable : il leur faut tenir la haute mer ou s’enfuir vers le nord. Jadis les embarcations réfugiées dans la Gironde ou dans les pertuis de la Saintonge devaient courir le risque de se présenter une seconde fois devant la barre avec le mauvais temps ; de nos jours, les pêcheurs que la tempête a forcés de relâcher dans le port de Bordeaux font charger leur pinasse sur un wagon de chemin de fer et reviennent triomphalement à La Teste traînés par la vapeur.

Si la passe qui donne entrée dans le bassin d’Arcachon occupait une position fixe, elle serait depuis longtemps connue et pratiquée de tous les navigateurs qui parcourent le golfe de Gascogne, et peut-être aurait-on déjà découvert les moyens de rendre la barre accessible par tous les vents ; mais la passe est mobile : elle saute brusquement d’un endroit à un autre pendant le cours des tempêtes et dans l’espace d’une seule année se déplace parfois de plusieurs kilomètres. Des bancs occupent la place où s’allongeaient les chenaux ; des passages se creusent là où se trouvaient les bas-fonds ; la topographie sous-marine change constamment, et c’est à leurs risques et périls que les pilotes doivent en étudier l’ensemble, sans cesse modifié. En 1742, le grand chenal suivait le rivage du continent, immédiatement à la base des dunes, et communiquait avec la haute mer par une passe ouverte au sud de l’entrée entre une pointe de sable et l’île de Matoc, aujourd’hui disparue. Depuis cette époque, chaque nouvelle carte, chaque rapport des hydrographes ou des ingénieurs ont constaté quelque changement dans la direction des passes et la forme des rivages : cependant l’entrée principale