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principaux fournisseurs de la capitale; j’allai même jusqu’à faire prendre des renseignemens aux bureaux de la police. Toutes les tentatives échouèrent également, et je dus renoncer à l’espérance de retrouver le mystérieux voyageur, qui avait depuis longtemps sans doute quitté Paris. Lorsque je m’arrêtai à cette conviction, j’étais moi-même à la veille de mon départ, et, comme il arrive en pareille circonstance, mes amis me pressaient de passer une dernière fois en revue toutes les curiosités de cette ville unique à laquelle j’allais dire adieu pour jamais. Je ne sais comment je me laissai aller à écouter leurs conseils et à mener pendant quelques jours l’existence absurde du sightseer, du chercheur de curiosités, car je n’en connais guère de plus fatigante pour le corps et de plus nulle pour le souvenir. Toujours est-il qu’un beau soir, voulant réaliser le programme arrêté d’avance par ces officieux malavisés, je pénétrai, — c’était la première fois de ma vie, — dans une des maisons de jeu que l’édilité parisienne tolérait encore à cette époque. Le tableau qu’elle m’offrit d’abord ne fut pas exactement celui que je m’attendais à y trouver. Sur aucun de ces visages plombés et flétris que je voyais se grouper autour des tables de jeu ne se traduisait en signes extérieurs cette monomanie fiévreuse qu’on exalte infiniment, selon moi, lorsqu’on la classe parmi les passions; mais ce calme de commande, cette froideur affectée, ce front impassible que le joueur veut offrir aux coups du sort, perdent tout leur prestige quand on songe à la cupidité qui l’agite. Rien n’est répugnant pour un esprit sain comme ces parades d’héroïsme à propos d’une râtelée d’or ou d’argent, ces grands airs à propos de gros sous. Le dégoût allait donc me chasser de ce salon splendide, lorsque mon attention fut attirée par les remarques qu’échangeaient à voix haute un certain nombre de spectateurs comme moi réunis autour du trente-et-quarante. Elles étaient motivées par la singulière persistance d’un joueur qui, laissant toujours sa mise sur la rouge, avait gagné quinze fois de suite. Je me faufilai dans le groupe afin de contempler, moi aussi, tout à mon aise l’heureux champion qui venait de voir si magnifiquement récompensée sa merveilleuse fidélité à une seule couleur. Il m’était désigné de reste par le tas de pièces d’or, de rouleaux et de billets de banque accumulés en face de lui, et c’est tout au plus si je pus retenir un cri de surprise lorsque dans ce favori de la fortune je reconnus le comte R...

L’impression que sa vue produisit sur moi me rappela vivement celle que j’avais ressentie jadis en le voyant sur le pont du bateau à vapeur contempler d’un œil calme et froid le bouillonnement des eaux tumultueuses. Un contraste analogue existait maintenant entre le flegme imperturbable empreint sur le visage de cet homme et l’orage de passions que déchaînait sur les vagues humaines dont