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curiosité seule m’avait attiré, comme vous peut-être, dans cette maison où nous nous sommes retrouvés. Il m’a paru convenable d’y payer mon admission au moyen d’une mise insignifiante, et je ne l’avais laissée sur la table avec tant de persistance que pour en venir à mes fins premières. Vous savez comment les choses ont tourné...

Ici le comte s’interrompit. Il me sembla que son regard évitait le mien et que ses lèvres frémissaient légèrement ; mais il se remit bien vite, et abrégeant ce qu’il avait à me dire : — Votre nom, poursuivit-il, ne m’est pas étranger; il a été plus d’une fois mentionné devant moi par des amis de la famille de votre mère avec lesquels le hasard m’avait mis en rapport. Je sais à quelle noble tâche vous avez consacré votre vie, et je me suis parfois senti jaloux du dévouement qui est devenu votre premier mobile. Permettez-moi donc de m’y associer, et veuillez accepter la somme en question, qui peut devenir, employée par vous, l’utile auxiliaire des soins que vous prodiguez à tant de misères cachées. Quand vous en aurez disposé, souvenez-vous encore que vous avez un banquier en Allemagne. Deux lignes de vous adressées au château de L..., près de Breslau, et auxquelles vous prendrez soin de joindre le nom de la personne que vous regarderez comme digne de quelques secours, y trouveront toujours un accueil favorable... Et maintenant adieu!... Nous nous retrouverons un jour, j’en suis convaincu, bien que je ne sache encore ni comment ni à quelle époque le sort nous réunira.

Ce fut ainsi que nous prîmes congé l’un de l’autre, et que l’énigme à la solution de laquelle j’avais cru toucher se déroba une fois encore à mon impatiente curiosité. Pour le coup en revanche, je sentais qu’un lien venait de se former entre cet homme et moi, un lien que le temps et la distance pourraient atténuer, mais qu’ils ne parviendraient pas à détruire.


III

En quittant Paris quelques semaines plus tard, j’allai m’établir à Berlin, où je comptais passer un certain temps au sein de cette atmosphère intellectuelle, plus subtile, dirait-on, dans la capitale de la Prusse que dans tout le reste de l’Allemagne. Ce fut là que je publiai presque immédiatement après mon arrivée, et pour me produire dans le monde littéraire allemand, une brochure dont l’éditeur n’eut guère à se louer. C’était un Traité des apparitions, destiné à éclaircir certains points de la phénoménologie du cerveau. Bien qu’assez froidement accueillie du public, cette œuvre, incomplète à trop d’égards, me valut une des chaires de médecine à l’université de Breslau, et, grâce au crédit que trouve partout la