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fatigué suffiront à vous montrer la voie... Prenez ces papiers, vous les lirez à loisir...

Se levant à ces mots, il plaça devant moi un pli cacheté sur l’enveloppe duquel était son adresse, puis, après un profond salut, se dirigea rapidement vers la porte. — Une question, une seule, m’écriai-je. La comtesse, qu’est-elle devenue?

La haute stature du comte sembla grandir encore au moment où il se retournait pour me faire face dans une attitude imposante et presque redoutable. Désignant de la main un point de l’espace vide et avec une singulière expression de physionomie : — La comtesse est là, me dit-il, là, debout, à la droite de son mari!...

Resté seul, j’ouvris l’espèce de dossier que le comte m’avait laissé. J’éprouvais alors un peu de cette émotion qu’a dû connaître tout juge chargé de statuer sur une question de vie ou de mort. N’étais-je pas à moi seul, le jury convoqué par le comte Edmond R..., pour prononcer sur toute sa vie un verdict définitif ? Des lettres, des fragmens de journal, tels étaient les documens qu’il m’avait remis, et où je cherchai curieusement la réponse aux doutes qui m’obsédaient depuis si longtemps. Le résumé que j’en fis alors et que je complétai ensuite par quelques citations donne, telle que j’ai cru la trouver, l’explication de cette destinée mystérieuse.


IV

En glissant sur les eaux rapides de la Weidnitz, on n’aperçoit qu’un instant, derrière d’épais massifs, l’antique château de L... C’est là qu’après un mariage d’amour devenu, par exception, un heureux mariage, le comte Arthur R... était venu se fixer définitivement. Edmond, le premier né de ses trois enfans, fut longtemps investi des privilèges d’un fils unique, car il avait quatorze ans à l’époque où son frère Félix vint au monde. A Félix, deux ans plus tard, succédait une sœur du nom de Marie, douée d’une santé fort délicate, et qui mourut à l’âge de trois ans. Plus le bonheur de la comtesse avait été complet jusque-là, plus lui fut sensible ce premier coup du destin, la perte de sa fille unique; mais le ciel lui réservait une compensation. La plus ancienne et la meilleure amie de la comtesse, la compagne de son enfance, avait été mariée très jeune, en Bohême, au prince G..., si connu à Vienne par ses folles prodigalités et par les désordres de sa vie. Elle était morte dans la première année de son mariage, donnant le jour à une fille, et sa prière suprême, adressée à l’époux qui allait la perdre, le conjurait de confier l’éducation de leur enfant à l’amitié dévouée de la comtesse Arthur.

Ce ne fut pas sans regret que le prince C... put se résoudre à