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convaincue que le papillon était mon fiancé. L’anneau magique, secrètement métamorphosé, sera devenu cet amant téméraire que le désespoir a conduit au suicide; dans tous les cas, il avait disparu de mon mouchoir et n’a pas été retrouvé depuis lors... Pleurez sur le malheur qui m’arrive! je suis veuve d’tin papillon...


……. Je t’écris, ma Teresa, le cœur plein de joie, mais d’une joiecalme parce qu’elle est complète. A toi, mon amie, ma sœur d’adoption, je dois faire partager, si je puis, ce bonheur, auquel je ne saurais trouver un nom dans aucune langue connue.

Ne raillons plus l’anneau magique : je dois tout à cette puissante amulette. Tu ne saurais lire la page que je vais tracer sans partager la reconnaissance que m’inspirent ce vieux talisman oriental et sa bénigne influence.

Le lendemain du jour où je fis partir ma dernière lettre à ton adresse, nous fûmes réveillées, ma mère et moi, par de joyeuses fanfares. Une vingtaine de chasseurs arrivaient chez nous à l’improviste; il fallut se lever en toute hâte pour leur faire accueil. Pendant le déjeuner, dans cette salle d’armes que tu connais, les yeux des convives s’arrêtèrent sur ce portrait de famille où sont représentés deux personnages d’autrefois, un cavalier et une châtelaine, celle-ci remettant au premier, qui les reçoit avec toute la déférence de l’ancienne galanterie, sa ceinture et son cor de chasse. La ressemblance de Félix et de son aïeul fut généralement remarquée, et l’un des convives voulut absolument trouver quelques rapports entre ma figure et celle de la grande dame d’autrefois. De ces rapprochemens naquit l’idée, assez naturelle, de nous faire exécuter, à Félix et à moi, une espèce de tableau vivant, représentation plus ou moins fidèle de l’image encadrée dans les lambris de chêne. Au moment où Félix, se prêtant à la plaisanterie, venait s’agenouiller devant moi, je lui fis remarquer en riant que le vent, engouffré dans la cheminée, avait chassé sur le parquet maintes cendres mêlées de menus charbons. Il risquait donc, à ce jeu, la blancheur immaculée de son vêtement de chasse. Pareil obstacle n’était pas fait pour l’arrêter un instant : il prit son mouchoir, l’étala sur les cendres éparses et se mit à genoux avec sa vivacité accoutumée; mais au même moment je vis se contracter son visage sous l’influence d’une douleur poignante. En essayant de se relever, il étendit machinalement les bras, et ses mains, qui cherchaient un point d’appui, rencontrèrent un léger guéridon chargé de fragiles curiosités, cristaux et porcelaines pour la plupart. La chute du meuble fut immédiate, et il s’ensuivit un affreux dégât, durant lequel Félix eut la main profondément entamée par un fragment de cristal. Edmond releva