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mis dans l’eau jusqu’au cou, et ce fut un de ceux-là qui découvrit au bout de quelque temps, dans un retrait du fleuve, à dix pas environ de l’extrême berge, le comte Edmond à moitié enfoui dans une vase marécageuse. Les mains de sa seigneurie, ramenées violemment derrière sa tête et crispées dans sa chevelure, montraient qu’elle avait obéi, en se précipitant, à un mouvement de désespoir. Quant à monseigneur Félix, si parfaitement digne de toute espèce de regrets, on n’a pu retrouver jusqu’à présent aucune trace de son cadavre. Il a dû tomber du bateau par suite des mouvemens désordonnés qu’il lui imprimait, et monseigneur Edmond aura tout hasardé pour le tirer d’affaire, ce qu’indiquent l’état de ses vêtemens saturés d’eau et celui de ses bottes, qu’il a fallu fendre du haut en bas pour pouvoir le déchausser, ainsi que le sable dont il était couvert et les fragmens d’herbes qui se sont attachés après lui pendant qu’il plongeait au secours de son malheureux frère.

« Humble prière à l’honorée-baronne de partir à lettre vue pour le château de L... J’écris par le même courrier afin qu’elle trouve des relais préparés sur toute la route. »


VII

La baronne Thérèse ne put passer que quelques jours auprès de ses amis. Après son départ, sa correspondance avec Juliette redevint plus active que jamais. C’est de leurs lettres à l’une et à l’autre que j’ai pu dégager le sommaire des événemens postérieurs à la mort du comte Félix.

Edmond demeura plongé pendant plusieurs semaines dans un désespoir sombre et farouche, qui ajoutait une anxiété de plus aux regrets amers de ses parens et de Juliette. On eût dit qu’il se croyait responsable de la mort de son frère et que cet événement tragique le laisserait à jamais inconsolable. Un jour cependant, et sans qu’on pût s’expliquer ce phénomène, le profond chagrin auquel il était en proie sembla s’apaiser soudain. Il reprit une sorte de sérénité, s’occupa plus assidûment que jamais de l’administration du domaine et se hâta de tout mettre en ordre, de régler ce qui concernait l’avenir, comme on le fait à la veille d’un départ prochain. Ses parens un matin le virent partir pour Breslau sans se douter de ses projets ultérieurs; mais il leur écrivit, une fois là, qu’il se rendait à Saint-Pétersbourg pour y demander à faire partie d’une expédition russe préparée contre les montagnards du Caucase. Cette brusque détermination ne surprit aucun de ceux qu’elle intéressait le plus directement. Les lettres que le jeune comte écrivit ensuite, empreintes d’une tranquillité singulière, ne renfermaient que des descriptions du pays où il se trouvait, des observations curieuses sur