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tion une finalité ? Pourquoi vouloir à toute force qu’il n’y ait rien de semblable dans les choses ? N’est-ce pas là un préjugé tout aussi dangereux, tout aussi trompeur que le premier, quoiqu’il lui soit contraire ? Le désir de ne pas trouver de causes finales dans la nature peut m’induire à des théories chimériques aussi bien que le désir opposé. Ainsi le vrai principe de la méthode scientifique en cette circonstance doit être l’indifférence aux causes finales et non pas l’hostilité. Un naturaliste célèbre de notre temps, M. Flourens, a très bien dit : « Il faut aller non pas des causes finales aux faits, mais des faits aux causes finales. » C’est dans le même sens que Bacon les écartait de la physique, pour les renvoyer à la métaphysique.

Les naturalistes se persuadent qu’ils ont écarté les causes finales de la nature lorsqu’ils ont démontré comment certains effets résultent nécessairement de certaines causes données. La découverte des causes efficientes leur paraît un argument décisif contre l’existence des causes finales. Il ne faut pas dire, selon eux, « que l’oiseau a des ailes pour voler, mais qu’il vole parce qu’il a des ailes. » Mais en quoi, je vous prie, ces deux propositions sont-elles contradictoires ? En supposant que l’oiseau ait des ailes pour voler, ne faut-il pas que le vol résulte de la structure des ailes ? Et ainsi, de ce que le vol est un résultat, vous n’avez pas le droit de conclure qu’il n’est pas un but. Faudrait-il donc, pour que vous reconnussiez un but et un choix, qu’il y eût dans la nature des effets sans cause, ou des effets disproportionnés à leurs causes ? Des causes finales ne sont pas des miracles ; pour atteindre un certain but, il faut que l’auteur des choses ait choisi des causes secondes précisément propres à l’effet voulu. Par conséquent quoi d’étonnant qu’en étudiant ces causes vous puissiez en déduire mécaniquement les effets ? Le contraire serait impossible et absurde. Ainsi expliquez-nous tant qu’il vous plaira qu’une aile étant donnée, il faut que l’oiseau vole : cela ne prouve pas du tout qu’il n’ait pas des ailes pour voler. De bonne foi, si l’auteur de la nature a voulu que les oiseaux volassent, que pouvait-il faire de mieux que de leur donner des ailes ?

Cet accord des causes efficientes et des causes finales a été admirablement exprimé par Hegel dans cette pensée spirituelle et profonde : « La raison, dit-il, est aussi rusée que puissante. Sa ruse consiste en ce que, pendant qu’elle permet aux choses d’agir les unes sur les autres conformément à leur nature, et de s’user dans ce travail sans se mêler et se confondre, elle ne fait par là que réaliser ses fins. On peut dire à cet égard que la Providence divine est vis-à-vis du monde et des événemens qui s’y passent la ruse absolue. Dieu fait que l’homme trouve sa satisfaction dans ses passions