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vie sera-t-il plus heureux, et par quels moyens obtiendra-t-il cet effet ? Ici Lamarck fait appel à deux nouveaux agens que nous avons déjà indiqués, l’habitude et le besoin. Il établit deux lois : la première, c’est que le besoin produit les organes ; la seconde, c’est que l’habitude les développe et les fortifie.

Insistons sur la différence de ce principe et du précédent. Dans l’hypothèse du milieu, la cause modifiante et transformante est tout extérieure. Rien ne vient de l’objet transformé. Il est comme une cire molle par rapport à la main qui la modèle et qui la pétrit. Ainsi en est-il de ces roches qui sous l’action des eaux se creusent et deviennent des grottes, des temples, des palais. Il est de toute évidence qu’il n’y a là nulle appropriation préméditée. En est-il de même quand vous invoquez le pouvoir de l’habitude ou du besoin ? Non sans doute, car ce ne sont pas là des causes externes, mais des causes internes : quoique déterminées par les circonstances extérieures, elles agissent néanmoins du dedans ; elles sont avec le milieu des causes coopératrices. Ce sont elles, et non plus les milieux, qui accommodent l’être vivant à ses conditions d’existence. Eh bien ! en supposant que ces causes puissent rendre compte de toutes les appropriations organiques (ce qui est plus que douteux), je dis que l’on n’aurait encore rien gagné par là, car cette puissance d’accommodation est elle-même une appropriation merveilleuse. Ici ce n’est plus seulement, comme tout à l’heure, une cause physique modelant l’animal ou le végétal du dehors ; c’est un pouvoir interne concourant avec l’action externe et s’accommodant aux besoins de l’être vivant. Eh quoi ! il y a dans l’être vivant une puissance telle que si le milieu se modifie, l’être vivant se modifie également pour pouvoir vivre dans ce milieu nouveau ! Il y a une puissance de s’accommoder aux circonstances du dehors, d’en tirer parti, de les appliquer à ses besoins ! Et dans une telle puissance vous ne voyez pas une finalité ! Imaginez que l’être vivant ait la nature dure et inflexible de la pierre et du métal, chaque changement de milieu devient pour lui une cause de destruction et de mort ; mais la nature l’a fait souple et flexible. Or dans une telle flexibilité je ne puis m’empêcher de reconnaître une pensée préservatrice de la vie dans l’univers.

On le verra mieux en examinant la chose de plus près. Il faut ici admettre deux cas : ou bien l’animal a conscience de son besoin, ou il n’en a pas conscience, car les animaux inférieurs, suivant Lamarck, sont dénués de sensibilité aussi bien que les végétaux. Dans ce second cas, Lamarck soutient que la production d’un organe a une cause toute mécanique ; par exemple « un nouveau mouvement produit dans les fluides de l’animal. » Mais alors, si l’organe n’est