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est un recours régulier aux voies ouvertes par la loi fondamentale. Lorsqu’aux élections du mois de juin 1863 les idées libérales eurent remporté une victoire que ne contestent pas leurs adversaires les plus décidés, la confiance publique resta frappée d’une étrange disproportion entre la grandeur du succès moral et les résultats exprimés par le scrutin. La logique naturelle de l’esprit français dut le conduire à souhaiter une modification profonde, non dans le principe de notre législation électorale, sur lequel la constitution a statué, mais dans la manière dont cette législation est appliquée par une administration à peu près omnipotente dans la plupart des communes rurales. Pour constater le désaccord qui sépare le régime administratif de ce temps-ci des idées de 89, il suffirait de mettre les anciens directoires départementaux, où l’autorité centrale était à peine représentée par un commissaire, en regard de la formidable machine préfectorale du premier empire, renforcée par les actes que l’appréhension du socialisme a suggérés au second après le 2 décembre. Il n’est pas jusqu’aux efforts tentés pour restreindre l’un des abus de la centralisation par une expédition plus prompte des affaires qui n’aient concouru, par une conséquence probablement imprévue, à mettre le comble à la puissance dans laquelle sont venues s’absorber toutes les autres. Le décret du 25 mars 1852 a mis la clé de toutes les carrières et le règlement de la plupart des intérêts privés entre les mains des préfets, déjà dictateurs de la presse départementale, et qui ne rencontrent en face d’eux, — la circulaire ministérielle du 12 août 1863 suffit pour l’attester, — que des conseils-généraux déshérités de leur principale prérogative par une situation financière anormale.

En désignant à la population des candidatures auxquelles il arrive quelquefois de n’exister que par le fait de cette désignation même, on s’assure, je le reconnais, des dévouemens faciles, mais on y perd l’immense profit moral qu’apporte au pouvoir le concours spontané des existences indépendantes et des caractères respectés. Transformer en ennemis du gouvernement les hommes les plus considérables du pays s’ils se présentent aux suffrages de leurs concitoyens sans l’autorisation préalable de l’administration, c’est satisfaire ses rancunes aux dépens de ses intérêts : politique habituelle aux émigrés, fléaux de toutes les restaurations, sous quelque drapeau qu’elles s’opèrent. Si l’effet de ces exclusions est fâcheux pour les localités où elles laissent l’élu sans concurrent, mais aussi sans influence, cet effet est plus grand encore sur l’opinion publique, qui demeure la reine du monde même en pleine démocratie. Il serait fort périlleux en effet d’accoutumer la nation à distinguer dans la législature les députés des arrondissemens ruraux des députés des grandes villes,