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suivante, pour se défendre contre les entraînemens financiers, il dut renoncer à la faculté, maintenue à la couronne dans tous les pays constitutionnels, de pourvoir sous la responsabilité de ses ministres aux nécessités imprévues, abdiquant l’usage afin de se préserver de l’abus, et s’imposant des règles sur lesquelles il y aurait eu plus à compter, si elles avaient été moins rigoureuses. Après la transformation destinée à faire sortir la parole du sépulcre dont la pierre semblait si solidement rivée, il ne reste plus beaucoup à faire pour rendre à la France la parité avec l’Europe constitutionnelle, initiée par elle à la liberté, dont nous avions depuis si longtemps perdu l’usage. Sitôt qu’il a été reconnu que le programme de la politique générale doit être consacré chaque année par le vote solennel des chambres après une discussion contradictoire sur tous les grands intérêts du pays, la représentation nationale a retrouvé le droit d’en surveiller l’accomplissement, droit de contrôle qui conduit forcément à refuser sa confiance aux agens qui pourraient être préposés pour en exécuter un autre. Décliner cette conséquence, vers laquelle est entraînée la conscience publique par l’irrésistible courant de la logique et de l’habitude, ne serait-ce pas substituer aux passagères difficultés des crises ministérielles l’éventualité d’une crise organique plus redoutable? La responsabilité exclut en effet l’inviolabilité, et celle-ci est de l’essence de toute monarchie héréditaire, sous le droit populaire aussi bien que sous le droit historique. On pouvait comprendre le système consacré par le plébiscite du 22 décembre 1851 lorsqu’il plaçait la responsabilité tout entière sur la tête du président de la république, car ce magistrat, si vastes que fussent les attributions que lui avait alors déléguées la confiance du pays, était appelé au même titre que le président des États-Unis à se présenter périodiquement devant le peuple, qui portait sur son administration un verdict définitif. En est-il ainsi après le sénatus-consulte du 7 novembre 1852 et le plébiscite qui a rétabli l’empire en investissant le chef de l’état de l’hérédité? Une modification si profonde au système antérieur ne rend-elle pas force et vigueur aux maximes constitutionnelles universellement admises en matière de responsabilité ministérielle, même à la fondation du premier empire? Quel si grand avantage présenterait d’ailleurs pour l’avenir la consécration d’une théorie dont le double effet serait de paraître dénier aux premiers agens de l’autorité souveraine toute volonté propre et d’exposer sans intermédiaire le chef de l’état aux courans impétueux de l’opinion? Si une destinée exceptionnellement heureuse a pu conduire à ne pas s’inquiéter pour soi d’une pareille perspective, en serait-il de même pour une dynastie soumise à toutes les chances de l’âge et du sort comme à toutes les faiblesses de l’humanité?