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pas tenu d’y recourir pour découper le territoire électoral. Il n’y a pas besoin que le nombre des électeurs d’un département soit augmenté ou diminué pour que les circonscriptions soient exposées à des changemens périodiques dont le pouvoir seul est juge. Il peut à son gré tantôt rapprocher les distances, tantôt consulter le goût de la symétrie en tirant des lignes droites de démarcation qui passent par-dessus les vallées et les montagnes, tantôt chercher l’effet d’un beau désordre en employant la ligne courbe, ou en dessinant toutes les figures de la géométrie. Aussi ce sont quelquefois comme des tours de force qui s’accomplissent. Des arrondissemens sont pour ainsi dire écartelés, et leurs cantons, violemment disjoints les uns des autres, sont répartis aux quatre coins entre des arrondissemens voisins. Il y a plus : le travail de division s’opère sur ce qui paraît être de sa nature indivisible; en effet, ce sont les villes mêmes qui sont souvent réparties par quartiers entre les circonscriptions rurales qui les entourent, de telle sorte que des villes comme Lille, Nancy, Nîmes, Marseille, Toulouse, unies chacune par la communauté d’intérêts de leurs habitans, au lieu de pouvoir élire le même député, ont été réduites à n’être plus représentées que par sections confondues dans une agglomération où elles semblent disparaître. Il en résulte qu’elles perdent ainsi tout l’avantage de leur population, et que par suite de cette dissémination de leurs électeurs ce sont les habitans des campagnes qui, par leur nombre, exercent une influence décisive sur l’élection des députés des villes. Il est facile dès lors de se représenter combien, par suite de cette géographie de circonstance, les derniers liens de tout faisceau politique, si religieusement conservés en Angleterre, sont en France soigneusement brisés et rompus. Quand dans l’appel des candidats aux électeurs de 1863 on rencontre un souvenir du passé qui soit invoqué, on croirait entendre l’écho d’une voix étrangère; aussi est-ce un langage que nous sommes, hélas! déshabitués de tenir et d’entendre que celui dont se servait, il y a quelques mois, un candidat vaincu avec honneur dans la dernière lutte, M. Casimir Perier. « Le lieu d’où je m’adresse à vous, écrivait-il à ses concitoyens, me rappellerait mes obligations, si je pouvais les oublier, car le nom seul de Vizille est pour moi une devise de famille que je ne puis trahir. Il me semble que je retrouve ici ces hommes énergiques que réunissait la courageuse hospitalité de mon grand-père. Dans les fermes, mais respectueuses représentations adressées au roi Louis XVI en 1788 par les trois ordres du Dauphiné, je trouve, avec un légitime orgueil qui doit nous être commun, le premier programme de libertés et de garanties qu’après soixante-dix années nous serions maintenant heureux de posséder. Il nous appartient de conserver intactes nos glorieuses traditions et de nous