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pouvoir était exercé par un ministère responsable représentant la majorité des députés et combattu par une minorité opposante; ce ministère était donc chef d’un parti dont il avait la confiance et la conduite. Le roi, déclaré inviolable, irresponsable, chargé de gouverner d’accord avec les grands pouvoirs publics institués par la charte, était en dehors du débat. Le ministère pouvait en conséquence avoir ses candidats aussi bien que l’opposition avait les siens; en les proposant, en les avouant, il ne faisait que comparaître lui-même devant les électeurs, il les prenait comme juges de sa politique, prêt à garder le pouvoir, si l’avantage lui restait, et obligé de le remettre à d’autres, si l’épreuve lui était défavorable. Aujourd’hui le droit public est bien différent : l’empereur seul gouverne, les ministres n’ont d’autre caractère que celui de ses agens, et quand ce sont les candidats du gouvernement que les ministres recommandent aux électeurs, les candidats du gouvernement ne sont-ils pas dans un tel système les candidats du souverain?

Dès lors quel est le caractère de la, lutte dans laquelle doit s’engager tout candidat qui n’est pas désigné comme le candidat du gouvernement? Il faut qu’il la soutienne non-seulement contre un concurrent qui invoque l’appui du pouvoir, non-seulement contre les représentans les plus élevés ou les plus subalternes du pouvoir; il en est réduit en quelque sorte, comme malgré lui, à se mesurer contre le chef du pouvoir lui-même. Peu importe le parti qu’il prendra, il n’a que le choix des écueils : s’il désavoue toute hostilité contre le souverain, il lui est signifié que le pays ne veut plus d’équivoque et demande que tous les masques tombent, il est traité d’hypocrite; s’il paraît accepter la position d’adversaire qu’on veut lui faire prendre, il est aussitôt accusé de se démasquer et de déployer le drapeau de la guerre civile, il est traité de factieux : heureux si d’aventure il n’est pas menacé d’être poursuivi comme tel!

Sur ce terrain, la lutte n’est pas seulement inégale et périlleuse, elle paraît même à peu près impossible à tenter. Du moment où c’est le gouvernement qui est ouvertement le combattant, il a entre les mains une arme merveilleuse qui garantit la victoire à tous les candidats en faveur desquels il la fait servir : c’est l’arme de la centralisation. En face du suffrage universel, dépourvu des moyens les plus élémentaires d’éducation et privé en quelque sorte d’apprentissage, la centralisation est l’instrument qui met presque tout le pays dans la dépendance du gouvernement. De temps à autre, on entend sans doute parler de décentralisation ; mais cette décentralisation n’a été jusqu’ici destinée qu’à augmenter dans chaque département le pouvoir des préfets auxquels les ministres remettent une partie de leurs attributions : elle n’a ainsi servi qu’à rapprocher la centralisation de toutes les communes de l’empire en la